Le sang suisse: entre éthique, commerce et réalité

Jean-Daniel Tissot
2014 Swiss Medical Forum = Forum Médical Suisse  
Service régional vaudois de transfusion sanguine, Epalinges Le don de sang représente un acte solidaire. Il est le plus souvent bénévole et, selon les pays et les circonstances, non rémunéré. Face à l'augmentation des besoins, face aux critères d'exclusion de plus en plus nombreux, face à la dérive sécuritaire et tenant compte des modifications des structures de nos sociétés, de nombreux acteurs de la chaîne transfusionnelle s'interrogent sur la valeur du don, sur le sens du bénévolat et
more » ... ent sur l'oppor tunité de rémunérer l'acte de livrer une partie de soi, non plus comme un don, non plus comme l'expression de l'altruisme et de la solidarité, mais comme une prestation commerciale définie par des règles économiques pouvant inclure ou non des aspects éthiques d'un commerce dit équitable ou non. Il n'est pas éthique de payer les donneurs! Mais pourquoi? Le sang est une ressource précieuse, sa symbolique, son mode de prélèvement et de distribution en font un élé ment unique dans l'histoire de la médecine et de l'homme. La demande des hôpitaux en produits sanguins labiles a tendance à augmenter d'année en année tandis que le nombre de dons, lui, diminue. De nombreuses dis cussions, dans différents milieux posent la question de la rémunération éventuelle des donneurs de sang. Sou vent la réponse fuse: «Il n'est pas éthique de payer les donneurs!» Mais pourquoi? Sur quelle éthique se base ton? Sur une éthique normative? Réflexive? Défensive? Lorsqu'on parle de don du sang, on regroupe deux mots portant des symboliques fortes, «don» et «sang». Selon le Petit Robert, «Donner, c'est abandonner à quelqu'un, dans une intention libérale ou sans rien recevoir en retour, une chose que l'on possède ou dont on jouit.» On trouve également comme première définition dans le dictionnaire Larousse «Céder, offrir gratuitement à quelqu'un quelque chose que l'on possédait ou que l'on a soimême acheté à cet effet». C'est en général, cette définition qui vient à l'esprit de la plupart des gens. La se conde définition donnée par le Larousse est «Remettre, attribuer quelque chose (de l'argent souvent) à quelqu'un comme récompense ou comme paiement en échange de quelque chose». Dans ces deux définitions, on observe deux concepts très différents: dans le premier on parle d'offrir, l'action est dirigée dans un sens unique, dans le second on parle d'échange, l'action s'accomplit dans les deux sens. Se lon Marcel Mauss, sociologue et philosophe français, il n'y aurait pas de don pur ou don totalement altruiste, dénudé d'intérêt. En quelque sorte, lorsque l'on fait un don, il y aurait toujours un intérêt et donc un contredon effectué sous des formes les plus diverses. Le don est alors assimilé à une forme d'échange basé sur une exi gence tacite de réciprocité. C'est la réciprocité qui est sousentendue par l'idée de «contredon»: cela peut in clure la satisfaction personnelle d'avoir donné, la grati tude, le renforcement de liens, ou encore se donner «bonne conscience». Cette vision est alors assez réduc trice de l'acte de donner, puisque accomplie par intérêt et jamais par altruisme. Il est intéressant de comprendre ce qui motive une per sonne à donner son sang. Selon un sondage que nous avons effectué en 2004, à la question «pour quelle raison donnezvous votre sang», plus de 75% des personnes interrogées ont répondu «parce qu'un jour, je pourrais en avoir besoin». On est donc bien dans la logique du contredon, ou plutôt contredon «anticipé». Ceci convient au principe de solidarité, aider les autres et être aidé en cas de besoin. Bien entendu, parmi les ré ponses des donneurs, il y a aussi des réponses de type: «Pour sauver des vies» ou «Parce qu'un proche a été transfusé». Cellesci peuvent être considérées comme étant davantage altruistes. Dans le monde de la transfusion, on oppose souvent «don gratuit» (céder) à «don rémunéré» (échanger). Un don devrait être forcément gratuit, selon son sens pre mier; et donc un don rémunéré est en quelque sorte un oxymore. On devrait parler plutôt de vente de sang dans ce dernier cas. Peutêtre estil plus acceptable «éthiquement», dans nos sociétés, de parler de don ré munéré plutôt que de vente de sang. Par la suite, quand il sera mentionné don rémunéré, il sera sousentendu vente de sang comme il est d'usage en transfusion.
doi:10.4414/fms.2014.01811 fatcat:rip6qampircahacnuo4drwehla