Groupe d'études « La philosophie au sens large » Politiques du quotidien

Stéphane Legrand, Guillaume Sibertin-Blanc
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D'abord, nous avons choisi de parler de politiques du quotidien, évidemment, parce que l'une des leçons foucaldiennes, l'un des thèmes majeurs de son travail c'est que certains des éléments les plus ténus, sans importance, apparemment infâmes de la vie quotidienne entrent dans le champ des préoccupations politiques, sont le vecteur et le support de relations de pouvoir multiples. Il y a un investissement politique des corps et des conduites qui concerne les régularités de la vie quotidienne,
more » ... pratiques ordinaires de l'hygiène, de l'enseignement, du travail de chaque jour, de l'alimentation, des déplacements sur le territoire, etc. Et nous avons choisi le pluriel (politiques) parce qu'il n'y a pas qu'un seul mode de politisation du quotidien, mais plusieurs, dans des relations complexes. Ce que nous nous proposons c'est donc de dégager certains de ces schèmes de politisation de la vie quotidienne (au moins deux), et d'en esquisser l'analyse. Mais cela n'est évidemment possible qu'à la condition de construire suffisamment le concept de quotidien pour lui-même, c'est-à-dire de donner un minimum de sens et de contenu à ce qui doit être pensé comme l'objet de ces pratiques de pouvoir que nous désignons comme « schèmes de politisation du quotidien ». Naturellement, nous sommes en cela nominalistes. Il ne s'agit pas de dire qu'il y a un quelque chose existant en et pour soi qui serait le quotidien, qu'on pourrait identifier, désigner, montrer, et qui se trouverait subir la prise ou l'investissement de quelque chose qui de son côté serait le pouvoir. Nous allons appeler « quotidien » quelque chose qui, comme la folie, la sexualité ou la délinquance, n'est pas réel mais qui cependant existe. Cela n'est pas réel parce que ce n'est pas une chose, renfermée dans des limites et définissable par ostension. Mais cela existe parce qu'un certain type de préoccupation sociale, de technique de pouvoir le perçoit dans le réel, découpe le réel selon certaines articulations, certains schémas de vision et de division du monde, qui en marquent la place, qui le marquent dans le réel. Dans Naissance de la biopolitique (4 avril 1979, p. 301), Foucault caractérise le sexe, la folie, la délinquance, la société civile comme des « réalités de transaction », c'est-à-dire des figures, des formes, des objets, qui naissent à l'interface des relations entre ceux qui exercent un type de pouvoir et ceux sur qui il s'exerce. Le « sexe » est par exemple une telle réalité de transaction parce qu'il ne s'agit pas réellement de quelque chose, mais qu'il apparaît, par exemple, comme l'objet visé par le psychanalyste et le patient dans leur interaction, il est (dans la complexe définition qu'en peut donner la psychanalyse) ce en référence à quoi s'orientent, s'ordonnent, se règlent les discours et les actions de l'un et de l'autre, ce en référence à quoi ils se conduisent l'un et l'autre, et se conduisent l'un l'autre. Et c'est cela qui, dirons-nous, inscrit l'irréalité du sexe dans le réel. Il s'agit donc de montrer qu'il est possible de définir et de caractériser quelque chose comme un quotidien qui aurait ce caractère d'être irréel, mais d'être en même temps une réalité de transaction, et donc d'être marqué dans le réel à l'interface entre certaines pratiques de pouvoir et certains mode d'être et de vivre du côté de ceux sur qui ce pouvoir s'exerce. I.
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