Entretien avec André VElter
John Stout
2001
LittéRéalité
onsieur Velter, commen90ns par la question la plus generale : avotre avis, l.lI.I queUe est -et quelle devrait etre -l'importance culturelle de la poesie aujourd'hui ? Qu'est-ce que la poesie peut nous apporter que nous ne pourrions pas atteindre ou obtenir autrement ? Je pense qu'il va devenir de plus en plus evident que la poesie est le genre majeur de la litterature fran9aise du XXe siecle: Il est extremement facile de citer cinquante poetes de premier plan; il est strictement impossible de
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... iter plus de dix romanciers du meme calibre. Jusque dans les annees soixante, la poesie -d'Apollinaire jusqu'a Rene Char, Henri Michaux, ete -a ete un genre a l'evidence en prise avec le reel, que ce soit avant-guerre, avec les surrealistes, ou apres-guerre. le pense qu' apres cela, il y a eu pendant quelque temps une phase d'une certaine perte de sens et d'energie presqu'inevitable. Presqu'inevitable parce qu' apres la grande poesie de la Resistance et, je dirais, les illusions qui sont nees avec la poesie militante, meme si tout n'est pas rejete dans cet heritage-la (mais beaucoup est extremement date), je pense qu'il y a eu une volonte chez un certaian nombre de poetes de se premunir des illusions lyriques et donc d'assecher considerablement leur ecriture. C'est un phenomene que l'on rencontre dans toute l'histoire de la poesie fran9aise. Ce n'est pas d'aujourd'hui. On voit tres bien ce meme mouvement se developper au XVlIe siecle, au XVIIIe siecle, meme au XIXe, a certain moments. C'est comme un balancier qui irait de certains exces lyriques vers certains exces d'assechement et de formalisme. On etait arrives a un point Ue dirais, dans les annees 70), oil la poesie etait devenue tellement a l'ecart de tout, se tenait d 'une fa90n tellement ombrageuse des faits de societe, des tendances profondes qui agitaient nos contemporains, que, bien entendu, il y avait une desaffection qui s'etait creee. Depuis une quinzaine d'annees, tout est reparti dans autre chose. Le balancier est reparti. On a de nouveau un certain nombre de poetes qui se posent la question de I' ecoute publique et, tout naturellement, le recours a l'oralite, le fait de redire la poesie a voix haute. Mais non pas comme les devanciers avaient pu le faire. Il n'est pas question de revenir aux formes de la fin du XIX e siecle. C'est pour cela que je ne vous parle pas du tout d' un retour a l'oralite. le parle de l'invention d'une nouvelle oralite. Qu'est-ce que c'est que cette "nouvelle oralite" ? En quoi est-ce qu'elle se distingue de l'ancienne ? Elle se distingue de l'ancienne, d'abord, par des faits objectifs. Ama connaissance, les troubadours, ou meme Charles Baudelaire, n'avaient pas pris l'avion. Ils n'avaient pas ecoute de musique dodecaphonique. Ils n'avaient qu'une idee tres vague de ce que pouvait etre le jazz. Ils n'avaient pas connu la musique repetitive. Ils n' avaient pas les sonorites, les bruits de la vie que nous avons dans les oreilles. Donc, tout cet environnement sonore fait qu'inevitablement, si nous, aujourd'hui, nous voulons passer de l'ecrit a l'oral, nous n'y passons pas par exactement les memes chemins ou les memes voies que les devanciers du XIIe ou du XIXe siecle. Alors, ce que j'appelle "la nouvelle oralite", c'est, evidemment, une maniere d'agir sur le langage en resonance avec les autres sonorites de l'epoque. Pour ne parler que de mon cas personnel, moi je suis quelqu 'un qui a ecoute du jazz, qui a une culture rock-and-roll assez poussee. J'ai ete le premier a traduire Jim Morrison en franc;ais. Donc je ne me suis jamais senti etranger a ce type de sonorites. J'ai moi-meme un groupe de rockand-roll. Donc la question de la mise a l'ecoute de ces sonorites nouvelles passe forcement dans I'ecriture. C'est quelque chose qui deborde ma simple experience personnelle parce que c'est quand meme un mouvement maintenant en France. Mouvement, d'ailleurs, fort diversifie. 11 n'y a pas qu'une seule tendance. Meme dans la nouvelle oralite, il y en a au moins cinq ou six. 11 y a des gens qui considerent le langage comme un support sonore et donc qui considerent le langage comme porteur de sens, mais aussi de sons. C'est mon cas. Personnellement, je pense que ce qui est irremplac;able dans la poesie, c'est cette alliance un peu magique du sens et du son. Done, dans cet alliage, on est, nous -compares, par exemple, aux musiciens -on est dans un rapport de malediction. Pourquoi? C'est une malediction tonique. Ce n'est pas du tout une malediction desesperante. On voit bien a quel point il y a une grace, il y a une sorte d'acces a des sensations, a des emotions quasiment absolues avec la musique. Alors qu'avec la poesie, c'est un travail beaucoup plus complexe qu'il faut accomplir parce qu' on a toujours ce probleme de "Qu'estce que cela dit ?" Parce que les mots disent toujours quelque chose. C'est dans cet alliage, c'est dans cette alliance, c'est dans cette tension alchimique de voir les choses qu'on est capable de creer une parole poetique reelle. Vous avez tres bien demontre l'importance de ces tendances vers la nouvelle oralite dans l'anthologie poetique Orphee Studio, que vous avezpublie l'annee derniere. La lecture de ce recueil a vraiment change ma vision de la poesie jranfaise contemporaine. Oui, c'etait fait pour cela. C'etait fait pour montrer que la poesie franc;aise n 'en etait plus a ce qu'elle a exporte pendant des decennies, ace qu'elle continue encore a exporter dans son officialite universitaire, qui est cette sorte de poesie ennuyeuse, blanche, formaliste, minimaliste. Est-ce qu'il y a d'autres tendances dans la poesie franfaise actuelle que vous voudriez souligner ? LitteRealite + 96 StoutlVelter (+ 97 Est-ce que vous pouvez expliquer le sens que vous donnez ace terme, "la chambre d'echos?" Vous l'employez souvent.
doi:10.25071/0843-4182.29592
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