Plaidoyer pour l'ésprit de synthese

JJ Perrenoud
2002 Swiss Medical Forum = Forum Médical Suisse  
412 L'inflation de revues, d'articles, de réunions et de congrès qui agitent le monde médical en général et cardiologique en particulier (c'est de ce dernier qu'il sera surtout question ici) submergent le corps médical d'une avalanche d'informations tantôt utiles, tantôt contradictoires ou encore temporaires et sans intérêt. Si de remarquables travaux voient le jour, notamment en recherche fondamentale, un problème se pose au niveau de la clinique, à savoir que l'esprit d'analyse prévaut sur
more » ... sprit de synthèse. La primauté du premier sur le second est attestée par l'importance que prennent l'analyse (précisément!) décisionnelle et son corollaire, la médecine fondée sur des preuves. L'une et l'autre procèdent d'un raisonnement rigoureux basé sur les meilleures connaissances scientifiques du moment afin d'apporter à un problème donné la solution idoine à tous égards. Ces 15 dernières années, de nombreuses études ont été réalisées, pour la plupart par des médecins hospitalo-universitaires, afin que des certitudes épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques permettent aux praticiens de privilégier la connaissance et la raison sur la croyance et l'empirisme. Or le discours, parfois un peu arrogant, des premiers arrive à susciter doute, méfiance ou irritation chez les seconds qui souvent ne reconnaissent pas leurs malades parmi ceux recrutés dans les grandes statistiques, comme si, pour louable qu'elle soit, la démarche demeurait incomplète ou insuffisante. L'absence de synthèse s'observe d'abord dans le domaine des investigations où grande est, en milieu universitaire particulièrement, la tentation de soumettre chaque patient à la panoplie des examens paracliniques disponibles. Cette attitude, justifiée lorsqu'on souhaite connaître, en les comparant l'un avec l'autre, les apports d'une technique nouvelle et d'une ancienne d'utilité reconnue, ne l'est plus dans la routine où il s'agit de choisir, parmi plusieurs possibilités, celle qui a le plus de chance de confirmer d'emblée le diagnostic présumé. Le spécifisme des techniques est une notion fondamentale, souvent oubliée. Certes, il est toujours possible de compléter une ultrasonographie par un examen scanographique lui-même appuyé par une résonance magnétique. Mais dans bien des cas cette accumulation ne profite pas au malade. Une réflexion rigoureuse dans la sélection des examens paracliniques, outre qu'elle évite de faire «tout à tout le monde» en accumulant nombre de données souvent inutiles sous prétexte de science, présente le double avantage d'imposer la rigueur intellectuelle et de réaliser de substantielles économies. Plusieurs raisons peuvent expliquer, en milieu universitaire, une tendance inflationniste. Les médecins en formation doivent effectuer suffisamment d'examens pour l'obtention de leur titre de spécialiste. Chaque responsable d'un laboratoire ou d'une sous-spécialité tient à se positionner par rapport à ses collègues et peut accepter ainsi, à des fins statistiques, des examens dont l'indication est discutable, voire infondée. Une certaine pression s'exerce parfois sur lui de la part de médecins hospitaliers non spécialistes qui en formulent la demande. Or la performance d'un laboratoire (coronarographies, échocardiographies, ECG d'effort et de 24 heures, scintigraphies myocardiques au thallium ...) ne dépend pas du nombre annuel d'examens qu'il est d'habitude de voir croître mais procède davantage du rendement et de l'impact clinique. Sous le contrôle d'un clinicien expérimenté, la diminution du nombre d'examens pourrait, dans certains cas, augmenter leur qualité et leur indication plus stricte accroître la disponibilité du laboratoire. Enfin, la crainte existe qu'en milieu universitaire «on passe à côté de quelque chose» en ne procédant pas à des investigations exhaustives. Renoncer à un examen requiert souvent plus de compétence que le contraire. Dans une division hospitalière, la mesure du rendement diagnostique des différentes techniques invasives et non invasives pourrait s'évaluer, sur une certaine durée, par la répartition des patients en 3 groupes: dans le 1 er , l'examen réalisé conduit à un diagnostic positif; dans le 2 e , l'investigation exclut utilement une pathologie; dans le 3 e , espéré le plus restreint, l'examen est négatif et son indication se révèle, à la réflexion, discutable ou mal posée. Si la possibilité d'une plus grande rigueur était ainsi démontrée, une telle étude serait créditée d'une valeur formative non négligeable. En proposant un cheminement diagnostique rationnel et systématique, l'analyse décision-
doi:10.4414/fms.2002.04501 fatcat:vrbtd53hsncf7nzwkntf2rnkpa