Jean-Marie Legay, du bon usage de la biométrie

Richard Tomassone
2012 Natures sciences sociétés  
1 Voir aussi, dans ce numéro et le suivant, les autres hommages à Jean-Marie Legay. Jusqu'en 1970, mes relations professionnelles étaient limitées au cercle proche des chercheurs de l'Inra, surtout dans le domaine forestier, à quelques chercheurs du CNRS en écologie en poste à Montpellier et à des universitaires nancéens spécialistes de la statistique théorique. Quelques collègues européens biométriciens complétaient ce cercle. À l'occasion d'une mutation au centre de recherches zootechniques
more » ... Jouy-en-Josas, j'eus pour mission et objectif la création d'une équipe de biométrie dont les membres devaient être ouverts à toutes collaborations avec les chercheurs de l'Inra. Ma direction ne m'avait pas demandé de privilégier un domaine particulier de recherche pour ces collaborations. De plus, la biométrie était un mot bien commode pour couvrir tout ce qui faisait appel à un outil mathématique avec de fortes doses de calcul électronique : l'outil était surtout celui de la statistique ; le calcul électronique en était à ses balbutiements avec un ordinateur implanté à Jouy-en-Josas et déjà très puissant pour l'époque. J'ai donc commencé par faire un « tour de France » des différents biométriciens : ceux qui revendiquaient ce nom étaient rares et, par conséquent, ce tour fut vite fait. Pourtant, beaucoup faisaient de la biométrie, mais ressentaient une sorte de honte à l'afficher, comme si cette activité se faisait sans en parler ! C'est à cette occasion que j'ai connu Jean-Marie Legay 1 . Dès notre première discussion, nous avons vu que, malgré nos parcours scolaires et professionnels différents, nous avions une vision très voisine de l'insertion de la biométrie dans tous les contextes de la biologie et, par conséquent, de l'agronomie. Pour lui comme pour moi, ce n'était pas une discipline nouvelle mais une manière rigoureuse de traiter des problèmes pluridisciplinaires. C'était une démarche « humble » pour aborder des questions complexes. Par humble, nous entendions tous les deux qu'il fallait d'abord écouter notre interlocuteur et nous demander ensuite si, dans notre panoplie des techniques (méthodes, outils ou modèles selon le vocabulaire compréhensible par notre interlocuteur), nous pourrions trouver le vêtement le plus adapté. Si ce vêtement existait, nous le proposions, même s'il ne nous apportait pas davantage de connaissances en biométrie. Le simple fait qu'il s'appliquât à une situation nouvelle était en soi un instrument utile pour faire avancer la recherche. Mais, si aucun vêtement ne s'ajustait correctement, alors nous nous réservions le droit de faire appel à toutes les ressources des outils formels (les mathématiques bien sûr, mais aussi la logique ou tout autre outil) pour le mettre au point. Dans un monde scientifique où seul un résultat original est pris en compte, nous touchions du doigt la difficulté à faire admettre un tel point de vue. Un biométricien est-il un chercheur à part entière ou n'est-il qu'un prestataire de services ? Pour un biologiste, seul le résultat biologique est important ; l'analyse critique de l'outil biométrique employé ne l'intéresse généralement pas. Son attitude le conduit, à la limite, à faire une confiance absolue à un logiciel commercialisé sans qu'il soit sûr qu'un contrôle scientifique suffisant ait été réalisé. Les Richard Tomassone et Jean-Marie Legay (à droite de la photo) en 1982 à Toulouse lors de la XI e conférence internationale de biométrie. © D.R.
doi:10.1051/nss/2013053 fatcat:lyiwtarixbhtdblanod63bd774