De l'incessante inquiétude à la quête du bonheur

Natália Alves
2017 Carnets  
Le voyage vers une destination lointaine et méconnue est une constante dans les oeuvres dhôteliennes, comme si les personnages avaient obligatoirement un chemin à parcourir avant de découvrir le bonheur, dans un ailleurs qui, en fait, n'en est pas véritablement un. Nous constatons qu'il existe chez André Dhôtel l'intention de dévoiler le monde par le voyage, l'errance, la nature par les promenades. Outre le fait de vouloir quitter leur terre natale, il est commun que les personnages éprouvent
more » ... e forte pulsion intérieure, qui les encourage à fuir leur quotidien. Nous nous proposons d'aborder la poétique dhôtelienne de l'errance dans les oeuvres La Maison du bout du Monde, L'Île aux oiseaux de fer et Un Adieu, mille adieux où nous retrouvons ce besoin de partir à l'aventure en quête d'un idéal, d'un bonheur qui semble perdu. Mots-clés : L'errance, l'ailleurs, Dhôtel, l'apprentissage, la quête identitaire. Abstract : The journey towards a faraway and unknown destination is a constant in dhôtelian works as if characters had mandatorily a path to cover before finding bliss in an elsewhere, which in fact, is not one. We recognise that André Dhôtel has the intention to unveil the world by the travel, the wandering, and the nature by the walk. In addition to the wish to leave their native land, it is common that characters experience a strong inner pulse that encourages them to run away from their everyday life. We propose to approach the dhôtelian poetic of the wandering in the works La Maison du bout du Monde, L'île aux oiseaux de fer and Un Adieu, mille adieux where we find the need to leave in adventure in the quest of an ideal, a bliss that seems lost. Keywords: Wandering, the elsewhere, Dhôtel, apprenticeship, identity quest. ALVES, Natália -De l'incessante inquiètude à la quête du bonheur. Carnets : revue électronique d'études françaises. Série II, nº 10, avril 2017, p. 171-187 172 À l'image des écrivains de voyage, qui privilégient le réel à la fiction, Dhôtel s'inspire souvent d'espaces réels pour tracer l'itinéraire des voyages de ses personnages ; mais poussé par l'imagination, il va rapidement transformer ces espaces réels en espaces rêvés et il va y faire intervenir un amalgame de faits, d'événements qui vont transformer l'univers diégétique et le rendre magique et mystérieux. Pour Philippe Blondeau : « le monde de Dhôtel est en effet un monde que l'on ne peut découvrir qu'en flânant, en errant, en s'arrêtant et certainement pas en allant droit au but » (Blondeau, 2003 : 40). Ce « promeneur campagnard » connaît bien les mystères de la nature et va les faire connaître à ses personnages ; il va les faire s'arrêter pour observer le paysage qui les entoure, mais ce tout en continuant leur poursuite incessante : Si labyrinthiques que soient les itinéraires dhôtéliens, il faut bien qu'ils conduisent quelque part, vers quoi les personnages semblent procéder par une succession de tentatives qui sont autant d'approches du lieu à la fois imaginaire et réel vers lequel tend toute l'organisation du roman. (Blondeau, 2003 : 254) Les lieux sont fréquemment inaccessibles ou difficiles à franchir, les parcours sont souvent repris, répétés, avant que s'effectue véritablement le départ, comme si le héros était poussé par une force intérieure, par un profond désir de changement. Les premiers voyages annoncent, dès lors, qu'il existe chez le personnage principal le besoin de partir en quête de soi, de réaliser une quête identitaire, puisque la vie, telle qu'il la mène, ne lui convient pas. Être de sensations et de sentiments, différent de par l'intérêt qu'il porte aux choses simples, il est insatisfait et donc un tourment incessant l'empêche de vivre à l'endroit où il se trouve et avec les gens qu'il fréquente. Muni d'une capacité d'introspection inapaisable, le héros dhôtelien prend en main sa vie en partant pour l'aventure, mais avant son véritable départ, des allées et venues paraissent vouloir fonctionner comme une étape de son apprentissage, puisque, grâce à elles, il atteint un degré de connaissances qui va l'aider à atteindre la maturité psychologique. Nous constatons, par ailleurs, que ces multiples départs font naître de nouveaux sentiments et que, par conséquent, le héros est prêt à côtoyer le mystère, à dompter son anxiété, à contempler les détails qui, en apparence, seraient sans importance et, enfin, à laisser que ses sensations se maintiennent en éveil. Hubert Juin dit à ce propos que : « les romans de Dhôtel sont des romans d'initiation ou d'apprentissage (...). Mais l'initiation se développe ici à l'envers de ce qu'on pourrait attendre car il ne s'agit pas de conquérir la maîtrise du monde, mais d'en saisir les images » (Apud Blondeau, 2003 : 53). En effet, par le voyage, Dhôtel nous fait ALVES, Natália -De l'incessante inquiètude à la quête du bonheur. Carnets : revue électronique d'études françaises. Série II, nº 10, avril 2017, p. 171-187 173 découvrir un monde où réel et irréel se fondent, une nature au pouvoir envoutant, des personnages étranges. À son tour, et au sujet de l'absolu et de l'errance de l'homme, Jacques Bril relève que : (...) O homem busca (...) um equilíbrio interno, demanda um território longínquo, foge de uma flutuação climática; ele age sob o impulso de um qualquer desejo e tende para o desconhecido, oscilando entre um projecto e a sua realização, entre a partida e a chegada: "L'être humain est un migrateur. (...) Le voyage est d'abord, et bien qu'à son insu, en quête d'un savoir." (Apud Lamas, 1997 : 447) Effectivement, chez les héros dhôteliens leur quête individuelle les conduit souvent au lieu de départ. Ils prennent conscience que ce qu'ils recherchaient désespérément ailleurs, à savoir le bonheur, se trouvait, en fait, dans leur quotidien et se trouvait, depuis toujours, auprès d'eux. Daniel Poiron écrit à son tour que le héros, au cours de son voyage -à bien des égards initiatique -doit surmonter des obstacles et vaincre des étapes avant d'atteindre la vérité : « (...) A viagem torna-se a iniciação e a aprendizagem, a própria vida. A viagem representa metaforicamente a vida e, paralelamente, as suas etapas, os encontros, os erros da caminhada presentificam-na metonimicamente ». (Apud Lamas, 1997 : 448) Par conséquent, nous essayerons, maintenant, de procéder à une analyse des différentes étapes, des diverses rencontres, des multiples obstacles auxquels le héros est soumis avant d'atteindre l'idéal, le bonheur, c'est-à-dire, le lieu d'où il était parti. Puisque cette quête initiatique est, avant tout, une quête identitaire, nous étudierons également les processus qui permettront au héros d'évoluer dans son apprentissage. -La remise en cause de soi Le héros dhôtelien s'aperçoit subitement qu'il n'est pas heureux dans le milieu dans lequel il vit et il décide donc de partir à la recherche d'un on ne sait quoi, à l'aventure, dans le but d'atteindre un idéal. En fait, il entame une quête et, par conséquent, il doit subir des épreuves, surmonter des obstacles, rencontrer des personnages qui veulent l'empêcher de progresser et d'autres qui le font avancer. Avant même de se lancer dans la quête, un phénomène se produit qui vient, désormais, bouleverser la vie du héros. Il décide donc de partir, mais au hasard et, par conséquent, tout peut lui arriver. Contrairement au chevalier du Moyen Âge, qui partait à la recherche du Graal, le héros dhôtelien part à la ALVES, Natália -De l'incessante inquiètude à la quête du bonheur. Carnets : revue électronique d'études françaises. Série II, nº 10, avril 2017, p. 171-187
doi:10.4000/carnets.2271 fatcat:btghd5ywvffdtcywx2yk76k7yi