La première traduction chinoise de Mi ultimo pensamiento ? Remarques sur la circulation et le processus de traduction du poème de José Rizal

Pierre-Mong Lim
2020 Moussons  
Moussons Recherche en sciences humaines sur l'Asie du Sud-Est | 2020 Recherche en sciences humaines sur l' Asie du Sud-Est La première traduction chinoise de Mi ultimo pensamiento ? Remarques sur la circulation et le processus de traduction du poème de José Rizal Référence électronique Pierre-Mong Lim, « La première traduction chinoise de Mi ultimo pensamiento ? Remarques sur la circulation et le processus de traduction du poème de José Rizal », Moussons [En ligne], 35 | 2020, mis en ligne le
more » ... août 2020, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ moussons/6103 ; DOI : https://doi.org/10.4000/moussons.6103 Les contenus de la revue Moussons sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution -Pas d'Utilisation Commerciale -Pas de Modification 4.0 International. * Pierre-Mong Lim, titulaire d'un doctorat en études chinoises transculturelles (université de Lyon), est chercheur indépendant et traducteur littéraire. Moussons n° 35, 2020-1, 141-161 Pierre-Mong Lim au Japon et en Chine, ne mentionne jamais Liang dans sa correspondance. Néanmoins, cette attribution, même imaginaire, à une figure intellectuelle de premier ordre, l'attention continue portée au poème et le nombre impressionnant de traductions attestent de l'importance considérable dont jouissent Rizal et son poème dans l'imaginaire politique chinois de la fin du xix e et au début du xx e siècle. Comme l'ont montré des chercheurs tels que Rebecca Karl ou Wang Hui (Karl 1998 (Karl , 2002 Wang 2011) , le phénomène indique un moment de l'histoire, court, où la modernité dans laquelle s'inscrit la Chine ne se réduit pas à son rapport avec l'Occident et le Japon, mais repose sur une représentation renouvelée du monde, dans lequel une région, l'« Asie », voit le jour et où le Nanyang 南洋, les « Mers du Sud », notamment les Philippines, occupe une place inédite. Or il existe une autre traduction chinoise du poème, peut-être l'authentique première 5 , réalisée en 1903 par Ma Junwu 馬君武 (1881-1940), qui fut lui-même proche de Liang Qichao. Quand on s'interroge sur le processus de formation de la vision politique propre à cette période, ce texte mérite une attention particulière, tant en raison des circonstances matérielles dans lesquelles il vit le jour que de son contenu littéraire. On se demandera donc d'abord comment le poème de Rizal parvint à Ma Junwu. Par quelles voies le poème écrit dans une geôle de Fort Santiago en 1896, en passant par les cercles d'intellectuels panasiatistes réunis au Japon -car c'est bien au Japon que Ma, qui ne lisait pas l'espagnol et ne mettra jamais les pieds aux Philippines, aura accès au poème -se retrouva publié en chinois dans un article de journal en 1903 ? Par là nous comprendrons mieux le statut de ce poème qui circula, par les chemins de l'autre mondialisation comme l'a appelée Anderson, parmi les hommes, les idées, les livres et les journaux -et même les cargaisons de fusils Murata. Nous nous pencherons ensuite sur certains éléments textuels précis qui, tout en reflétant ce parcours, viennent éclairer le paysage intellectuel de l'époque. La nouvelle vision géopolitique de l'Asie, le rapport entre la Chine et les Philippines, semblent expliquer certains choix du traducteur, qui demeurent sinon incompréhensibles. Elle nous renseigne sur ce qu'implique le geste de traduire qui procède, chez Ma, d'une sorte identification à la position de Rizal en tant que nationaliste asiatique, comme s'il avait été moins important de restituer le texte original lui-même que d'exprimer un même vécu politique, de se servir du poème original comme d'un support pour redéployer un imaginaire, celui d'un jeune nationaliste chinois à l'intérieur du nouvel espace qu'est l'Asie au début du xx e siècle. En ce sens, d'un point de vue traductologique, nous sommes en présence d'une expérience où l'opération qu'est la traduction n'est pas d'abord de nature linguistique mais politique, où les mots de « l'original » -mais est-ce le texte espagnol de Rizal ou la traduction japonaise ? -paraissent porter en eux un surplus de sens qui ne se révèle que dans le cours de l'histoire et dont c'est la tâche du traducteur, précisément, que de le faire apparaître. Idéal de ma vie, désir ardent ! Cette âme qui bientôt s'en ira te salue ! Ah, qu'il est doux de tomber pour te donner un élan Mourir pour te donner vie, mourir sous ton ciel, Reposer à jamais en ta terre délicieuse ! Si sobre mi sepulcro vieres brotar un día Entre la espesa hierba, sencilla, humilde flor, Acércala a tus labios y besa al alma mía, Y sienta yo en mi frente, bajo la tumba fría, De tu ternura el soplo, de tu hálito el calor. Si sur ma tombe, dans l'herbe épaisse, Tu vois un jour pousser une humble fleur, Porte-la à tes lèvres et embrasse mon âme. Sous la pierre glacée, je sentirai sur mon front Ton tendre soupir, ta chaude haleine.
doi:10.4000/moussons.6103 fatcat:osjwjj772ba6bk7vfzctkwikee