Parentèle
Marie Cosnay
2019
Revue Critique de Fixxion Française Contemporaine
Sur une page Facebook, trouver, le 8 mars, à Alger, la photo de jeunes gens qui tiennent une banderole sur laquelle on peut lire, en arabe, ce court poème traduit ainsi par Malika Rahal : Nous n'émigrerons pas sur les barques de la mort Nous ne consumerons pas les coeurs de nos mères Nous se serons pas mangés par les poissons Nous reconstruirons l'Algérie Trouver aussi, sur les réseaux sociaux, où j'ai vécu les journées du 22 février, du 1 er et du 8 mars, cette inscription toute fraîche sur un
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... mur : "pour la première fois, je n'ai pas envie de te quitter, mon Algérie". À l'automne, je suis allée sur le chemin des migrations des jeunes subsahariens. À Alger, où ils restent un peu pour travailler, le plus souvent dans des chantiers dont les entrepreneurs sont chinois ou turcs. Difficile de les rencontrer à Alger, ces jeunes gens que je connaîtrai plus loin, après le Maroc, la mer et l'Espagne, à la frontière basque. Difficile de les rencontrer à Alger parce qu'ils se cachent, fuyant rafles au faciès et refoulements au désert. En revanche, il a été facile de rencontrer les jeunes Algériens qui disaient haut et fort qu'ils voulaient partir, brûler, brûler les papiers, en harragas. Ils le disaient trop haut et trop fort pour qu'on n'entende pas, dans ces déclarations de dépit, un grand amour. Aimer un pays, même s'il faut y renoncer. En Algérie, pour des raisons d'Histoire, la question est particulièrement émouvante ; bouleversante, même. Depuis le 22 février, dans les grandes manifestations contre le 5ème mandat, le geste de reprendre ce qu'on aime s'exprime en chansons, en larmes, et en refus d'exil. Refus de sortir, comme disent les subsahariens. De brûler, comme on dit en arabe. La question, ça va de soi, est posée ici depuis nos attachements. Aucune injonction, aucune morale. Aucun : tu ferais mieux de te battre pour ton pays, prononcé de loin, sans savoir ce qu'est un pays, ce que c'est de se battre, encore moins ce qui est mieux. Et puis : dire qu'on ne sortira pas, ne brûlera pas, ne veut pas dire qu'on ne sortira pas, ne brûlera pas. Le dire est quelque chose. Chercher du travail ou de la vie ailleurs qu'au lieu de sa naissance, quoi de plus ordinaire.
doi:10.4000/fixxion.2023
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