« Parler ce n'est pas voir. » L'écriture polyphonique dans Les clandestins et C'est beau, la guerre de Youssouf Amine Elalamy

Annelies Schulte Nordholt
2020 Relief: Revue Électronique de Littérature Francaise  
This article is published under a CC-BY 4.0 license Cet article propose une étude comparée de deux romans de Youssouf Elalamy. Dans son oeuvre, ces deux romans forment un diptyque, non seulement par leur thématique commune -celle du drame de l'émigration et de l'exil -mais aussi par leur forme polyphonique, mettant en scène une pluralité de voix narratrices. Le choix de cette forme polyphonique, particulièrement apte à exprimer la voix de l'individu, fait que ces deux romans remettent en
more » ... n les approches médiatiques courantes du drame de l'émigration : celles du reportage journalistique et de la photographie, qui préfèrent l'immédiateté de la vue à la médiation de la parole fictionnelle. « Aussi cruel que cela puisse paraitre, la souffrance humaine est particulièrement artistique. » Cette citation se trouve mise en exergue du dernier roman de Youssouf Amine Elalamy, C'est beau, la guerre, paru en octobre 2019. L'auteur semble ici anticiper sur les critiques que son livre pourrait faire surgir : dire que la guerre, que la souffrance est belle, qu'elle se prête par excellence à une oeuvre d'art, en parler de manière esthétique, poétique, n'est-ce pas un scandale du point de vue de la morale ? Et pourtant c'est précisément ce qu'il fait dans ce roman sur un réfugié fuyant la guerre et s'embarquant à bord d'un frêle esquif afin d'atteindre un pays où il sera en sécurité. Le titre du roman est à lire par antiphrase, comme le révèlent les premières phrases du roman : « Dieu que c'est beau, la guerre vue du ciel. On largue une bombe et on la voit fleurir en poudre de lumière. Jamais un arbre n'aura poussé aussi vite, jamais ses palmes n'auront eu un tel éclat. Seulement voilà, moi, la guerre, je ne l'ai jamais vue d'en haut, seulement d'en bas. [...] » Suit, dans un style non moins poétique, une énumération des effets d'un bombardement, vus par une des victimes, un survivant, qui sera aussi le narrateur du récit : « chaque arbre de feu, chaque palme qui pousse emportent avec eux une mère, un fils, un mari, un visage, des jambes, un bras. » (11) Cet incipit
doi:10.18352/relief.1072 fatcat:5wmdiju6qvetnc57rjkv73x7qu