J. M. Charcot et la découverte des localisations motrices chez l'homme
J. Gasser
1988
Gesnerus
L'histoire des connaissances sur la question des localisations cérébrales est déjà bien documentée*, pourtant certains points demeurent méconnus. Le cas particulier du rôle de Jean Martin Charcot dans la découverte des localisations cérébrales des fonctions motrices chez l'homme en est un exemple®. L'étude des travaux de Charcot sur ce sujet, que l'on entreprend ici, n'est pas seulement faite pour mettre en évidence un épisode négligé de l'histoire des localisations cérébrales et de l'oeuvre du
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... célèbre clinicien du XIX" siècle, elle est surtout destinée à montrer la place très importante qu'occupait la méthode anatomo-clinique et le modèle des localisations dans l'oeuvre de Charcot. Pour ce faire, nous relirons les écrits de Charcot, en particulier le cours sur «Les localisations dans les maladies du cerveau» donné en 1875-1876 ainsi qu'un débat peu connu entre Brown-Séquard et Charcot à la Société de Biologie de Paris parallèle au cours prè-cité. L'attention de Charcot pour la question des localisations cérébrales ne débute pas en 1875 avec le cours de la chaire d'Anatomie Pathologique, qu'il occupe depuis 1872 à la faculté de médecine de Paris, et qui traitera de ce sujet®. On peut déjà trouver au début des années 1860 de nombreuses observations prouvant son intérêt. Une des premières est celle datant de 1863* concernant l'observation d'une patiente aphèmique sans altération de la troisième circonvolution frontale gauche. Ce cas est, bien entendu, en contradiction avec les observations de P. Broca de 1861 et 1863% définissant la troisième circonvolution frontale comme siège de la faculté du langage articulé. Broca fut d'ailleurs invité à l'examen anatomique de ce cas et reconnut que cette observation était un bon argument contre sa thèse, il se déclarait prêt à étendre le siège de la faculté du langage articulé à la circonvolution pariétale externe; mais d'autres observations de Broca en 1865® confirmeront ses vues premières. * Chercheur du Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique. Gesnerus 45 (1988) 501-520 501 Downloaded from Brill.com01/03/2021 05:58:01AM via free access Quant à Charcot, il conclut son observation en disant: «Je me vois conduit à conclure que le siège de l'organe central du langage articulési toutefois il existe un tel organe -reste encore â déterminer.» * Cette observation est intéressante car elle montre un Charcot sceptique quant à la localisation de Broca. Ceci étant tout à fait justibé rétrospectivement car la patiente examinée avait une lésion cérébrale à gauche correspondant à la zone que C.Wernicke identifiera quelques années plus tard, en 1874®, comme produisant également des aphasies, mais d'un autre type. Des auteurs ® utilisent cette observation pour montrer que Charcot a tout d'abord été hostile aux localisations, cette interprétation paraît abusive, il semble plutôt que Charcot cherchait à être plus précis dans la localisation d'une zone dont la lésion produirait une aphasie, il démontre que la seule zone définie par Broca ne suffit pas à expliquer tous les cas cliniques. On peut encore noter que G. Guillain *°d ans sa biographie officielle de Charcot consacre 4 pages à la question de l'aphasie, dont, plus de la moitié sont consacrées à cette affaire. Les leçons de Charcot plus tardives, de 1882 jusqu'à la fin de sa vie, étant liquidées en 1,5 pages. Bien entendu, c'est cet aspect négligé par l'auteur qui est le plus intéressant, mais Guillain, élève et admirateur de Pierre Marie, nous fait croire que Charcot s'est peu intéressé aux aphasies et lorsqu'il le faisait c'était pour critiquer les localisations. La suite nous montrera la grande partialité de ces propos. Suite à cette observation nous pouvons encore signaler toute une série d'observations consignées pour la plupart dans les tomes I et II des «OEuvres Complètes» de Charcot**. L'article sur l'hémianesthésie hystérique*® est à retenir particulièrement. Charcot y fait une comparaison entre les symptomes hémianesthésiques d'origine encéphalique, c'est-à-dire organique et ceux d'origine hystérique. Ce débat fondamental traversera l'oeuvre de Charcot. Mais ce qui m'arrête dans cet article, au sujet des localisations, est la description, que fait l'auteur, des lieux supposés donner des symptômes hémianesthésiques ou paralytiques, lorsqu'ils sont lésés. Charcot tout d'abord résume les deux positions existantes, d'une part la théorie anglaise de Todd et Carpenter*® décrétant que c'est la couche optique (que l'on nomme aujourd'hui le thalamus) qui est le centre de perception des impressions tactiles, tandis que les corps striés seraient en rapport avec l'exécution des mouvements volontaires. Ces auteurs anglais font également une analogie entre la couche optique et la corne postérieure de la moelle (celle qui est sensitive) et entre les corps striés et la corne antérieure de la moelle 502 Downloaded from Brill.com01/03/2021 05:58:01AM via free access (qui est motrice). Cette théorie s'oppose à celle de Vulpian " qui soutient que ces centres se trouvent plus bas, c'est-à-dire dans la protubérance et/ou dans les pédoncules cérébraux. Pour défendre cette position, il cite des expériences faites sur des animaux auxquels le cerveau, y compris la couche optique et les corps striés ont été enlevés; ces animaux semblaient continuer à voir, entendre et à ressentir la douleur. Charcot constatant ces différences dit: «A mon sens, la question en litige ne pourra être résolue qu'à l'aide de bonnes observations cliniques, auxquelles viendra s'adjoindre le contrôle d'études anatomiques très soignées, dirigées principalement dans le but d'établir, avec une grande précision, le siège des lésions encéphaliques, auxquelles pourraient être rattachés les symptômes constatés pendant la vie. De plus, les circonstances de l'observation devront se montrer telles que l'influence de la compression ou de tout autre phénomène de voisinage puisse être complètement écartée. Or, Messieurs, dans l'état actuel de la science les faits réunissant toutes ces conditions-là sont, autant que je le sache du moins, excessivement rares.» Ce texte est important car il donne le programme de travail auquel Charcot va s'atteler dans les années qui suivront. Rapidement les observations précises que demandait Charcot se feront. On peut signaler par exemple celle de D.M. Bournevillequi lie une hémianesthésie durable à une lésion de la partie postérieure du pied de la couronne rayonnante. Il faut encore remarquer que dans la citation de Charcot, il n'est pas question de la possibilité de localisation corticale; Charcot, comme quasi tous les autres auteurs à cette époque, ne considère que les structures sous-corticales comme étant impliquées dans les phénomènes sensitifs et moteurs chez l'homme. Charcot, en 1875, fort de plusieurs expériences animales qui prouvaient la réalité du siège cortical des centres moteurs des membres, commence à pressentir le rôle du cortex, il dit: «Je ne doute guère que l'on puisse démontrer un jour l'existence de paralysies dues à des lésions limitées à certaines régions des couches corticales des hémisphères cérébraux.»'® C'est bien ce que Charcot, aidé de A. Pitres, effectuera publiquement deux ans plus tard. Mais, il faut préciser que Charcot dirige en 1875 une thèse d'agrégation, celle de R. Lépine*®, dans cette thèse, la localisation corticale des fonctions motrices et sensitives est déjà reconnue, avec à l'appui de ces hypothèses, quelques faits cliniques incontestables. Il est intéressant par cet exemple de voir comment Charcot lançait ses idées novatrices par l'intermédiaire d'un autre, généralement un élève, et, si elles s'avéraient intéressantes, 503 Downloaded from Brill.com01/03/2021 05:58:01AM via free access il les reprenait dans son cours officiel, puis dans des volumes imprimés. Ce processus sera souvent utilisé par Charcot. Les observations disséminées seront rassemblées et donneront lieu à une systématisation lors du cours de la Faculté de Médecine, à la chaire d'Anatomie Pathologique en 1875 et en 1876^. Charcot introduit ce cours en donnant un résumé du principe des localisations et des méthodes pour arriver à ce but. Pour lui, l'idéal vers lequel doit tendre tout clinicien intéressé par la pathologie est ce qu'il nomme «le diagnostic régional» des maladies encéphaliques, qui est fondé sur le principe des localisations cérébrales. Il précise ensuite quel est ce principe: «L'encéphale ne représente pas un organe homogène, unitaire, mais bien une association, ou si vous le voulez une fédération constituée par un certain nombre d'organes divers. A chacun de ces organes se rattacheraient physiologiquement des propriétés, des fonctions, des facultés distinctes. Or, les propriétés physiologiques de chacune de ces parties étant connues, il deviendrait possible d'en déduire les conditions de l'état pathologique, celui-ci ne pouvant être qu'une modification plus ou moins prononcée de l'état normal, sans l'intervention de lois nouvelles. Il importe de rechercher maintenant sur quels fondements repose cette proposition. Pour en arriver là, nous devrons faire appel tour à tour aux données fournies par l'anatomie normale, la physiologie expérimentale et enfin par l'observation clinique appuyée sur l'examen méthodique et minutieux des lésions organiques. Je ne saurais faire trop ressortir que les documents du dernier ordre devront figurer constamment parmi les plus importants et les plus décisifs. Car, si les premiers peuvent mettre souvent sur la voie des localisations, seuls ceux-là permettront de juger en dernier ressort et de/ournir /apreuve, du moins pour ce qui concerne l'homme, objet spécial de nos études.» Dans cette déclaration préliminaire, Charcot cite plusieurs points fondamentaux qu'il reprendra souvent: -Le cerveau n'est pas unitaire, il est constitué par un certain nombre d'organes divers. Ceci est pour Charcot un fait acquis. Nous touchons là au coeur de notre propos, car Charcot utilisant le terme d'association semble se référer aux théories associationnistes très en vogue à son époque, mais il précise tout de suite que l'utilisation de ce terme est à prendre dans le sens de «fédération d'organes divers»; cette différence de terminologie, entre «association» et «fédération» n'est pas anodine, elle est même au centre d'une opposition fondamentale à la compréhension de l'oeuvre de Charcot. Différence entre les théories associationnistes et les théories localisationnistes. Le rapprochement souvent effectué^a vec l'associationisme ambiant ne peut pas aider à saisir une des originalités de Charcot. Bien entendu, il n'est pas question de nier totalement l'influence de l'associationnisme sur Char-504 Downloaded from Brill.com01/03/2021 05:58:01AM via free access cot, mais de la relativiser. Pour lui, ce qui importe, est que le cerveau soit constitué de diverses zones contenant diverses fonctions, la lésion de chacune de ces zones impliquant des symptômes constants; l'association entre ces diverses zones est peu prise en compte par Charcot. L'exemple de l'aphasie est caractéristique; dans la théorie de Charcot des diverses mémoires verbales partielles (mémoire auditive, visuelle, motrice graphique et motrice d'articulation), il considère ces dernières comme indépendantes les unes des autres, il n'insiste pas sur les liens entre elles Mais revenons au commentaire de la citation de Charcot. Pour lui l'état pathologique n'est qu'une modification prononcée de l'état normal, l'état pathologique n'a pas d'autres lois que l'état normal, on peut donc à partir de l'étude de la pathologie avoir des renseignements sur l'état normal. On peut noter que ces idées sont directement inspirées de l'oeuvre de Claude Bernard. -Le troisième aspect est la relativisation des données expérimentales qu'effectue Charcot, on verra que c'est une constante dans son étude des localisations, il estime qu'on ne peut rien conclure chez l'homme des données expérimentales utilisant les animaux. Seule la clinique humaine permettra de «fournir la preuve». Il pense que c'est l'expérimentation animale qui a mis les chercheurs sur la piste des localisations, mais le cerveau humain diffère trop de celui des animaux pour pouvoir être comparé strictement. Quelques années plus tard, en 1883, dans une revue de la littérature sur les localisations motrices, il confirmera ces vues en disant: «Il est de toute évidence que l'étude des fonctions du cerveau de l'homme ne peut être définitivement faite que par la méthode anatomo-clinique, c'est-à-dire par la comparaison des symptômes observés pendant la vie des malades avec les lésions révélées par l'autopsie. Les résultats des expériences pratiquées sur les animaux peuvent servir de guide dans les recherches, mais ils ne doivent en aucun cas être appliqués sans contrôle à la physiologie humaine. Le cerveau de l'homme n'est pas identiquement semblable à celui des animaux. Parce que les oiseaux ou les batraciens privés expérimentalement de ce que l'on considère comme les lobes cérébraux peuvent continuer à voler ou à nager; parce que les lapins ou les cobayes auxquels on a enlevé la majeure partie d'un hémisphère du cerveau peuvent encore marcher sans présenter de signes évidents de paralysie permanente, il ne s'ensuit pas forcément que, c/iez Z'/iomme, l'intégrité des hémisphères cérébraux n'est pas une condition indispensable à la production régulière des mouvements volontaires.»Â près cette introduction générale, Charcot poursuit son cours en faisant une description anatomique des structures cérébrales d'un point de vue macroscopique. Remarquons l'importance de la connaissance morphologique 505 Downloaded from Brill.com01/03/2021 05:58:01AM via free access précise des structures cérébrales ainsi que de leurs dénominations acceptées par tous. Cette topologie et cette toponymie sont d'ailleurs d'acquisition toute récente en 1875, car ce n'est que vers 1840-1870 qu'elles sont établies; c'est cette description que reprend Charcot pendant plusieurs leçons. Il fera, d'ailleurs, souvent la critique à ses adversaires d'un manque de précision dans la description anatomique des lésions. Par exemple, en 1877, il écrit: «Toutes les observations anciennes, en effet, pèchent par le défaut de précision dans la description topographique des lésions. La plupart du temps les auteurs ne s'arrêtent pas à déterminer le siège des altérations, ou s'ils disent qu'elles occupaient soit le lobe antérieur soit le lobe postérieur, ils ne précisent pas leurs limites en surface et en profondeur, et ne désignent pas les circonvolutions ou les parties de circonvolutions qui étaient lésées, ce qui est, on le comprend, absolument indispensable, pour les études relatives aux localisations Il faut donc en prendre résolument son parti et considérer comme étant sans aucune valeur, du moins à notre point de vue, toutes les observations dans lesquelles la topographie des altérations n'est pas indiquée avec une rigoureuse exactitude; et parmi celles qui, sous le rapport topographique, ne laissent rien à désirer, il faut encore faire un choix et rejeter la plupart des cas complexes à lésions multiples, et tous ceux où les lésions sont diffuses. Il faut aussi n'accepter qu'avec défiance les cas de tumeur comprimant sans les détruire les circonvolutions cérébrales; car les effets de la compression peuvent se faire sentir à une grande distance du siège apparent du mal et jeter ainsi de la confusion dans les résultats. En faisant ces éliminations, à notre avis absolument indispensables, on voit que le nombre des observations anciennes utilisables est extrêmement restreint et gne c'est à /'aide de documents nouveaux et recuei//is avec des précautions toutes spécia/es </u'i/ /aut aùorder /'étude des /oca/isations motrices cortica/es.»L a description de Charcot ne concerne pas seulement l'aspect macroscopique, mais également l'anatomie microscopique avec en particulier une description précise des cellules pyramidales découvertes par Y. A. Betz en 1874^, soit l'année précédent le cours, Betz, dans son travail analysé par Charcot, précise qu'il existe dans les zones corticales, désignées par G. Fritsch et H. Hitzig ainsi que par D.Ferrier comme centre moteur ou psycho-moteur, des cellules géantes qui ressemblent à celles identifiées dans la moelle antérieure comme motrices. Betz conclut que les cellules qu'il a trouvées devaient probablement être également motrices; Charcot, plus prudent, se contente encore d'accumuler les arguments. Enfin, les leçons anatomiques de Charcot comprennent un dernier aspect important, c'est l'exposé précis de la vascularisation cérébrale. Charcot insiste sur l'importance des affections vasculaires dans les pathologies cérébrales et également de leur utilité pour analyser les localisations; en particulier, les lésions vasculaires ischémiques peuvent circonscrire 506 Downloaded from Brill.com01/03/2021 05:58:01AM via free access précisément une zone cérébrale et faire une espèce de dissection «in vivo» permettant d'isoler cette zone et donc les fonctions ou les propriétés qui pourraient s'y trouver. Quant aux lésions produites par une hémorragie, elles sont d'interprétation plus difficile car elles ne sont pas seulement destructrices mais elles produisent également des effets de compression sur les structures voisines et permettent un moins bon isolement d'une zone que l'ischémie. Ces effets de voisinage compliquent beaucoup l'interprétation et expliquent un certain nombre d'observations qui paraissent au premier abord en contradiction avec les localisations déjà trouvées. A l'aide de cette méthode, Charcot décrira plusieurs cas le menant à faire des corrélations entre certaines régions sous-corticales et des symptômes tels que l'hémiplégie, l'hémianesthésie ou encore des troubles de la vision. Pour illustrer un cas de lésion ischémique, Charcot donne un exemple que Bourneville a publié en 1874 il s'agit d'une patiente frappée d'aphasie sans troubles moteurs ou sensitifs; à l'examen anatomique, on trouva un ramollissement limité au seul territoire de l'artère de la troisième circonvolution frontale. Utilisant la même méthode pour les domaines sous-corticaux, Charcot établit plusieurs entités anatomo-cliniques, basées sur un territoire vasculaire; la première est celle formée du ramollissement total des corps optostriés, irrigués par les artères centrales et qui implique cliniquement l'hémiplégie cérébrale vulgaire, accompagnée d'une hémianestbésie cérébrale. Ensuite, si seul le territoire des artères lenticulo-striées est touché (c'est-à-dire comprenant les % antérieurs de la capsule interne), l'hémianesthésie n'accompagnera pas l'hémiplégie; alors que ces deux symptômes seront présent si seul le territoire des artères lenticulo-optiques est touché (c'est-à-dire comprenant le Va postérieur de la capsule interne). Ceci étant un bon exemple de ce que Charcot entendait par diagnostic régional. A l'appui de ces postulats, Charcot rapporte une série d'observations cliniques trouvées dans la littérature des années 1874 et 1875, allant toutes dans le sens qu'il a défini. Ensuite, Charcot examine les troubles de la vision consécutifs à des lésions cérébrales. On n'entrera pas dans les détails de ces observations, mais signalons les tout de même, car les remarques de Charcot sur ce sujet sont une des seules erreurs importantes qu'il ait faites. Charcot a confondu l'amblyopie croisée d'un oeil par lésion occipitale et de la capsule interne avec une hémianopsie homonyme qui peut accompagner une hémianesthésie lors de lésions de la capsule interne. Cette erreur en a impliqué une autre: pour 507 Downloaded from Brill.com01/03/2021 05:58:01AM via free access expliquer la première, Charcot a dû faire l'hypothèse d'un deuxième entrecroisement des fibres optiques, postérieurement. Or, l'on sait qu'il existe bien, antérieurement, une décussation où une partie des fibres optiques vont vers l'hémisphère opposé, c'est le chiasma optique, mais ensuite les fibres optiques restent unilatérales. Il faut par ailleurs noter que Charcot ne s'est pas acharné à défendre cette théorie et que, lorsque plusieurs résultats d'observations cliniques et d'examens anatomiques contredirent ses hypothèses, il l'abandonna. Le cours de Charcot dont je viens de tracer les grandes lignes a été donné jusqu'au début de l'année 1876 et aura rapidement un grand retentissement. Parallèlement, il donnera lieu à un débat intéressant lors des séances de la Société de Biologie de Paris de décembre 1875 et janvier 1876. Le problème des localisations avait déjà fait l'objet de quelques communications à la Société de Biologie avant décembre 1875, mais c'est véritablement lors de la séance du 4 décembre 1875 qu'un débat s'instaure. Il est lancé par Charcot qui, prenant prétexte d'une communication sur «Les troubles trophiques observés à la suite de lésions occipitales», répond à Charles-Edouard Brown-Séquard qui avait offert à la Société de Biologie le texte d'un conférence, faite en juin de la même année à Boston, et s'intitulant «On localization of Functions in the Brain» Brown-Séquard est un personnage étonnant. De père américain, de mère française, il a été lui-même, par naissance, sujet britannique, étant né en 1817 dans l'île Maurice, enfin, il deviendra français peu de temps avant de devenir professeur au Collège de France à la place de Claude Bernard, en 187829. j| g gu une vie faite de déplacements continuels entre les Etats-Unis et l'Europe, en particulier la France et la Grande-Bretagne, une vie faite également d'instabilité affective. Au moment où le débat avec Charcot, jusque là un des ses bons amis, débute, Brown-Séquard traverse une période dramatique. Un de ses meilleurs amis, avec lequel il avait des projets de travail, meurt à la fin de l'année 1873. De plus, sa femme, en 1875, décédée d'une maladie à évolution rapide. Il écrit à ce moment: «Despair and incertainty, these are my lot» Ces quelques renseignements biographiques ne sont pas seidement anecdotiques mais surtout destinés à comprendre l'état d'esprit d'un homme qui s'isolera dans une erreur. A l'époque qui nous intéresse Brown-Séquard est un physiologiste très renommé. Il a déjà effectué des travaux importants sur la digestion gastrique, sur les fonctions de la moelle épinière, et est considéré comme l'un des pionniers de l'endocrinologie. Mais ce qui nous intéresse chez Brown-508 Downloaded from Brill.com01/03/2021 05:58:01AM via free access Séquard est son opposition aux théories localisatrices. Celle-ci est bien décrite dans la conférence de Boston déjà citée. Il y défend l'idée que lorsque des lésions intéressent seulement un hémisphère cérébral, quelle que soit leur nature, leur siège ou leur étendue, elles peuvent ou bien ne se traduire par aucun symptôme, ou bien engendrer les phénomènes les plus variés. Par ailleurs, il critique les localisations de Fritsch, Hitzig et Ferrier. Il repousse la théorie des centres, et propose de leur substituer celle de l'existence d'un réseau de cellules anastomosées, occupant toute la surface des hémisphères. Pour en revenir au débat de la Société de Biologie, Charcot commente donc une communication, rétrospectivement assez étonnante, sur les relations entre les eschares fessières et les lésions des lobes cérébraux postérieurs. Charcot, assez tolérant pour le conférencier, dit que le rôle des lobes postérieurs est encore bien peu connu, mais cette intervention sert surtout à une profession de foi locabsationniste, dont il se déclare un partisan acharné, il énonce ce qui lui paraît en être la loi: «Il existe certainement dans l'encéphale, des régions dont la lésion entraîne fatalement l'apparition des mêmes symptômes.»P our illustrer ceci, il cite les principaux points que nous avons déjà décrits, contenus dans son cours de la Faculté de Médecine. Suite aux propos de
doi:10.1163/22977953-0450304016
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