Reliance, déliance, liance : émergence de trois notions sociologiques
Marcel Bolle De Bal
2003
Sociétés (Paris)
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... st précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Michel Maffesoli, grand adepte, utilisateur et diffuseur de la notion de « reliance » m'a demandé en tant que parrain de celle-ci, de rédiger un article de référence concernant la genèse et le contenu de ce concept à l'audience croissante. Ce faisant, il songeait non seulement à ses collègues sociologues, mais surtout à ses étudiants et disciples amenés à recourir à l'usage de ce terme relativement neuf au sein de la panoplie de la langue sociologique. C'est bien volontiers que je réponds à son amicale et pressante invitation. Compte tenu des multiples échanges que j'ai eus à ce propos au fil des ans, j'estime indispensable de lier l'analyse du concept de « reliance » à celle de deux autres qui lui sont ontologiquement liées : « déliance » et « liance ». En fait -cela peut se constater à la lecture chronologique de mes écrits sur le sujet -la « reliance » suppose l'existence préalable d'une « dé-liance » et celle-ci un état de « pré-déliance » que nous définirons alors comme le phénomène de « liance », séquence que je vais tenter d'expliciter dans quelques instants. De la reliance Pour étudier et comprendre la problématique du lien social dans la société contemporaine, le concept de « reliance », en particulier celui de « reliance sociale », me paraît de nature à éclairer, approfondir et synthétiser un grand nombre d'études particulières sur le sujet. Notons au préalable l'existence d'une controverse scientifique sur la nature même de cette notion de « reliance » : s'agit-il d'une simple notion ou mérite-telle le titre de concept ? Michel Maffesoli, allergique à tout risque de rigidité herméneutique, accorde sa préférence à la première de ces qualifications. Par Document téléchargé depuis www.cairn.info ---207.241.234.63 -07/05/2020 16:24 -© De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info ---207.241.234.63 -07/05/2020 16:24 -© De Boeck Supérieur Reliance, déliance, liance : émergence de trois notions sociologiques Sociétés n° 80 -2003/2 ailleurs, dans le cadre d'une disputatio académique locale, un éminent collègue n'a pas hésité à aller plus loin, à refuser catégoriquement (et oralement) de reconnaître à la « reliance » la qualité de concept. Personnellement, m'appuyant sur la définition du dictionnaire philosophique de Lalande, je persiste à considérer qu'en l'occurrence, il ne s'agit certes pas d'un concept a priori, mais bien d'un concept a posteriori, de nature empirique, en l'occurrence « une représentation mentale générale et abstraite d'un objet » (Robert). La reliance : émergence du concept Pour cerner ce concept émergent, je vais tenter d'en situer l'origine, la définition, le contenu, avant d'en souligner la dimension sociologique et la spécificité. Origine de la notion Parrain de cette notion, dans la mesure où je ne l'ai point inventée, mais seulement enrichie, entretenue et développée, je me dois de lui reconnaître deux pères philologiques : Roger Clausse et Maurice Lambilliotte. Car si cette notion apparaît relativement nouvelle, elle peut cependant se targuer d'une existence de plus d'un demi-siècle et d'une présence active de plus d'un quart de siècle. À ma connaissance, le premier sociologue à avoir utilisé, et probablement créé le terme de « reliance » en français est Roger Clausse, dans son ouvrage Les Nouvelles 1 . Analysant le besoin social d'information, il en inventorie les diverses dimensions, et notamment la dimension psychosociale : « Il est besoin psychosocial : de reliance en réponse à l'isolement 2 . » Le développement de l'information et de son support, le journal, tend à répondre à ce besoin. Aussi, Roger Clausse distingue-t-il, au sein du complexe des fonctions sociales remplies par le journal, une fonction de « reliance sociale » qu'il définit comme suit : « rupture de l'isolement ; recherche de liens fonctionnels, substitut des liens primaires, communion humaine 3 . » Information prise auprès de cet auteur, ce terme de « reliance » a été utilisé par lui comme synonyme de celui d'« appartenance » : le besoin de reliance était dans son esprit une facette du besoin d'appartenance sociale (« d'appartenir à une communauté dont on partage ou refuse le sort heureux ou malheureux ») ; la fonction de reliance sociale ne serait qu'une formulation originale, plus précise, de ce que Jean Stoetzel avait auparavant défini comme la fonction d'appartenance sociale ou, plus profondément peut-être, une synthèse de la fonction d'appartenance sociale et de la fonction psychothérapeutique de la presse (la reconstitution d'un équivalent des relations primaires détruites par la société de Sociétés n° 80 -2003/2 masse) mise en évidence par ce même Stoetzel 4 . Depuis lors, l'analyse de cette fonction de reliance a été étendue aux autres médias : radio, T.V., etc 5 . Les sociologues des médias ne sont toutefois pas les seuls à avoir eu recours à ce néologisme. Voici quelques décennies, un autre auteur belge a utilisé le même terme, mais dans un sens légèrement différent : Maurice Lambilliotte, dans son ouvrage, L'homme relié 6 . Il lui donne une signification transcendantale, quasi religieuse : pour lui, la reliance est à la fois un état et un acte, « l'état de se sentir relié 7 », « un acte de vie (...) acte de transcendance par rapport aux niveaux habituels où se situe notre prise de conscience 8 ». « Mode intérieur d'être : (...) elle permet à tout individu de dépasser, en conscience, sa solitude » 9 . La reliance à ses yeux est donc essentiellement du domaine de l'expérience intérieure, une quête de l'Unité de la vie. Cette double émergence de la notion de « reliance », avant ma propre intervention, n'est pas le fruit du hasard, même si les deux « créateurs » du terme ne paraissent pas avoir agi de façon concertée. En fait, ils sont « reliés » par leur commune insertion forcée dans un système socioscientifique à base de division et de « déliance » (la société de la foule solitaire) et aussi par une caractéristique convergente de leur conception de la reliance : la relier à l'homme, placer celui-ci au centre ou au départ du procès de reliance. Premier élément de définition Une telle conception, malgré les apparences, n'a rien d'une évidence. Elle pourrait même être considérée comme réductionniste : les hommes ne sont pas les seuls à pouvoir être reliés, les idées et les choses -si elles avaient la parolepourraient revendiquer un droit similaire 10 .
doi:10.3917/soc.080.0099
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