Faut-il remettre les pendules de la subordination temporelle à l'heure ? Description de deux fonctionnements de quand et avant que/de
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CHRISTOPHE BENZITOUN
Marqueurs temporels et modaux en usage
Cela fait bien longtemps que les linguistes travaillant sur le français ont remarqué un usage singulier de quand n'exprimant pas une simple localisation temporelle. Cet emploi a reçu originellement le nom de « quand de péripétie » (Séchehaye 1926) puis « subordination inverse ». L'exemple suivant en constitue une bonne illustration : (1) Pécuchet venait d'en remettre la note à Bouvard quand tout à coup le tonnerre retentit et la pluie tomba (roman) Dans cette configuration, la construction
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... duite par quand (que nous abrègerons désormais en Quand-C) ne constitue pas un repère temporel, contrairement aux exemples « canoniques » du type : (2) Il nous a abandonnés, ma mère et moi, quand j'avais à peine un an. (roman) Plus récemment, Le Draoulec (2003) et Delort (à paraître a ) se sont intéressées à un fonctionnement impliquant avant que et avant de ressemblant étrangement à (1). (3) 61 personnes, sur les 111 salariés présents sur le site chalonnais hier, ont débrayé de 14 h à 15 h, avant de reprendre ensuite normalement leur travail. (presse) De la même façon, il s'oppose aux exemples en avant que/de fonctionnant comme un repère temporel : (4) Le 6 juillet, avant de me coucher, j'ai placé sur ma table du vin, du lait, de l'eau, du pain et des fraises. (roman) Ces deux fonctionnements de quand et avant que/de ont fait l'objet de nombreuses analyses pragmatiques, sémantiques et discursives, si bien que l'on est désormais capable de caractériser précisément ces deux interprétations à travers notamment la distinction entre la présupposition et l'assertion (cf. Le Draoulec 2003. Mais personne, ou presque, n'a abordé de manière précise les propriétés syntaxiques de ces constructions, excepté Benzitoun (2006) (sur quand uniquement). Nous nous proposons donc de poursuivre ce premier travail en mettant en évidence les caractéristiques syntaxiques des constructions en avant que/de et quand du même type que celles des exemples ci-dessus.Nous montrerons notamment qu'il existe une congruence entre syntaxe et sémantique, pour peu que le cadre syntaxique que l'on adopte ne soit pas trop imprégné de la conception scolaire de la subordination. Nous espérons ainsi parvenir à « remettre les pendules à l'heure » entre la syntaxe et la sémantique afin d'approfondir la question de leur interaction. Néanmoins, nous nous limiterons à l'étude spécifique des deux fonctionnements exemplifiés ci-dessus. Cela nous permettra de poser les prémisses d'un travail plus ambitieux concernant l'interface entre la syntaxe et la sémantique. Dans la première partie, nous retracerons l'histoire de la « subordination inverse » et des différents termes successifs qui ont été employés pour désigner les exemples en quand tels que (1), afin de mettre en lumière leur caractère polysémique et généralement contradictoire. Dans la deuxième partie, nous rappellerons brièvement les principales propriétés dégagées dans les études sémantiques. Dans la troisième partie, nous proposerons une analyse qui montre que l'opposition sémantique entre présupposition et assertion est doublée d'une opposition syntaxique entre dépendance et autonomie. Enfin, dans la dernière partie, nous proposerons des pistes de recherche portant sur d'autres exemples. 1.Brève histoire de la « subordination inverse » Dans cette section, nous allons montrer qu'il est difficile de cerner avec précision les éléments pouvant être considérés comme appartenant à la « subordination inverse » et que la variabilité entre les auteurs est assez importante, ce qu'illustre bien la terminologie usitée ou créée : « quand de péripétie », « subordination inverse », « quand inverse », « subordination à valeur coordonnante » ou encore « quand narratif ». Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette tournure a suscité une grande profusion terminologique. Mais, en réalité, nous verrons que ces termes, parfois à l'insu de leur auteur, ne désignent pas exactement les mêmes constructions, ou plutôt qu'ils n'ont pas nécessairement la même portée. Par un processus de dérive sémantique, un auteur reprenant à
doi:10.1163/9789401209359_024
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