11 Fêtes galantes, V
Cit Op
unpublished
Son vers a l'inflexion des voix qui se sont tues ou qui n'ont pas encore parlé. 1 Verlaine misérable carrière de misère, grossièreté des moeurs et des idées -mais ce chant - [...]. 2 Nous nous proposons ici de scruter l'oeuvre verlainienne dans ce qu'elle a, de prime abord, de protéiforme au regard de son apparent cri de guerre « De la musique avant toute chose ». Son écho dans la critique continue, encore aujourd'hui, de retentir sans forcément être expliqués sinon en recourant à l'utilisation
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... du vers impair et à celle, subversive, de la métrique traditionnelle. Il s'agit ici de prendre conscience de l'unité verlainienne au sein d'une trop facile et apparente diversité : ou comment la « musique » chez lui est le signe d'un refus du poète à fonder une théorie, en même temps qu'elle élabore, si l'on veut, une « anti-théorie » qui affirme, certes, non des règles normées, prescriptives, destinées à l'établissement d'un ensemble de principes poétiques, mais des lois internes et caractéristiques d'une conscience poétique. Car Verlaine est un poète métrique avant tout 3 . Évoquer la composition verlainienne reste une gageure, qui divise encore la critique. Si l'on en juge à la couleur de certains articles plus ou moins récents tel celui d'Eléonore Zimmermann 4 , qui traite de la variété intrinsèque de l'oeuvre du poète, celle-ci serait une esthétique de la varietas qui emblématiserait le mieux la poétique verlainienne. Et il est certain qu'un différentiel s'opère naturellement entre des recueils plutôt homogènes (Poèmes saturniens, Fêtes galantes, Sagesse) et ceux composés à la hâte pour d'autres raisons -intimes ou financières, notamment -tels Jadis et Naguère ou Parallèlement, où coexistent poèmes anciens et d'autres inédits : la manne verlainienne est riche en surprises. Dans le traitement du vers et de la prosodie, comment expliquer, également, en s'appuyant sur une courte chronologie, qu'à cette profusion de formes (sonnets, quintils, quatrains, ritournelles) et de types de vers (alexandrins, octosyllabes, heptasyllabes, tétrasyllabes) des Poèmes saturniens, amenée à s'épanouir encore dans les Fêtes galantes, succède la trop sage et maîtrisée Bonne Chanson, avant que tout n'explose à nouveau dans les Romances sans paroles, quand le poète succombe un temps au poison rimbaldien ? L'hypothèse la plus évidente, et la plus convenue, est que cette poésie demeure intimement et naturellement liée à la vie de Verlaine. Luimême affirme, à l'occasion de la réédition de son recueil des Poèmes saturniens en 1890, dans un texte fondamental puisqu'il y effectue une sorte de synthèse de sa vie de poète : 1 Albert Thibaudet, Histoire de la littérature française, Paris, Marabout, coll. « marabout université », 1981, p. 482. 2 Paul Valéry, « Poésie », VCII, p. 1105. 3 Cf. Benoît de Cornulier, dans son ouvrage,Théorie du vers, montre que Verlaine condense plus des 2/3 de l'utilisation de l'alexandrin, plus ou moins régulier, dans la triade poétique Baudelaire/Verlaine/Rimbaud. 4 E.-M. Zimmermann, « La Variété chez Verlaine », La petite Musique de Verlaine, Romances sans paroles, Sagesses, Société des Etudes Romantiques, SEDES, 1982, pp. 16-24. « De très grands changements d'objectifs en bien ou en mal, en mieux, je pense, plutôt, ont pu, correspondant aux événements d'une existence passablement bizarre, avoir eu lieu dans le cours de ma production. » 5 On pourrait donc penser que l'oeuvre verlainienne est, pour reprendre la métaphore balzacienne, miroir d'une vie hasardeuse, de doutes et de certitudes, d'abandons et de tentatives de conversion. Pourtant, conjointe à la phrase précédemment citée, la suivante indique précisément un ordre, une pensée, peut-être évolutive, mais qui se pose en des termes concrets de poétique : « Mes idées en philosophie et en art se sont certainement modifiées, s'accentuant de préférence dans le sens du concret, jusque dans la rêverie éventuelle. » 6 Comble de malchance pour l'exégète critique en manque de structure et de certitudes : à la fin du même texte, le poète affirme en lettres capitales : « N'allez pas prendre au pied de la lettre mon « art poétique » de Jadis et Naguère, qui n'est qu'une chanson, après tout -JE N'AURAI PAS FAIT DE THEORIE. » 7 Cet anti-théoricien, qui refuse les étiquettes, exclu des milieux littéraires de 1868 à 1883, bercé, renié par différentes écoles poétiques (ou auto-affranchi !), n'est-il pas finalement théoricien que parce qu'il s'est imposé cette dénégation constante ? Puisqu'il est question de musique ici (musique du vers, musique comme topos poétique, musique d'un point de vue esthétique), nous nous proposons de redoubler la formule musicale en imaginant la fugue comme métaphore compositionnelle de l'oeuvre verlainienne au travers de la musique. Il y a bien une intention verlainienne de composer, cela ne fait aucun doute 8 . Au contraire d'un Mallarmé, aux nombreuses syllepses, le vers, la musique, recouvrant plusieurs sens en fonction du texte abordé, l'oeuvre verlainienne fait de la musique l'intention poétique par excellence, la notion pérenne et emblématique présente à la surface ou en creux de ses recueils 9 . Si la fugue, en musicologie, obéit à de savantes et rigoureuses règles de composition, ce sont surtout la facture, l'organisation interne de l'oeuvre elle-même, qui pourrait évoquer une logique de pensée sans solution de continuité, une « poétique », si l'on veut, argumentée, pour que l'équilibre de l'oeuvre se trouve dans l'intention du geste créateur à la clôture, une fois l'équilibre d'ensemble jugé atteint. La présence d'un sujet, voire de deux et même trois, et peut-être d'un contre-sujet, jusqu'aux strettes finales où les différents motifs sont réexposés, peuvent rappeler chez Verlaine, à une échelle macroscopique, le traitement de la notion de musique diffractée sous telle ou telle forme à l'échelle de son oeuvre entière. Il s'agira donc de voir dans un premier temps comment se mesure la présence de la poésie chez Verlaine, puis de saisir comment s'opère le développement du paradigme musical, pour s'interroger, en dernier lieu, sur la poétique verlainienne : impressionnisme littéraire, esthétique de la varietas, ou Verlaine, théoricien de l'anti-théorie à la recherche perpétuelle d'un équilibre, d'une harmonie ? 5 Paul Verlaine, Critique des Poèmes saturniens, OEuvres complètes, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1962, p. 1072. 6 Id. 7 Id., p. 1074 Cf. Dédicaces, 26, « A Henri Mercier » : Verlaine se flatte de composer « sur tous les tons de tous les modes / Ballades, sonnets, stances, odes. » Curieux mélange de termes musicologiques et littéraires... 9 Outre son ultérieur et, malgré tout, explicite « Art poétique » de 1874, Verlaine, au sujet des Romances sans paroles, écrit à son ami Lepelletier en mai 1873 : « Ce sera très musical », arguant d'un véritable « système » de composition. Chemins de traverse et sentiers battus Les topoi musicaux demeurent légions chez Verlaine comme chez ses contemporains. Il n'y a guère que chez Mallarmé, après la crise de 1865/1866, que l'imagerie musicale ressortissant à une tradition fort lointaine -c'est l'image du poète à la lyre, instrument de sa transcendance et de son éternité -se désagrège au profit d'une nouvelle poésie où le symbole est roi, où les mots sont appelés à ne renvoyer qu'à eux-mêmes. S'il y a modernité chez Verlaine, on peut sans crainte affirmer qu'elle s'épanouit au travers d'une tradition aux chemins bien balisés. Le poète demeure, dans les Poèmes saturniens, celui qui manipule la lyre ; il est ce janus bicéphale, dyadique, qui écrit des hymnes et des odes (c'est, par ailleurs, le titre de l'un des recueils tardifs de Verlaine) en poète et en musicien. Banville écrit à Verlaine, d'ailleurs, le 9 juillet 1885 : « Parfois, vous côtoyez de si près le rivage de la poésie que vous risquez de tomber dans la musique ». On le voit, l'un des pères des poètes de cette génération, parnassien qui a grandement influencé Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé et d'autres encore, affirme la contiguïté critique des deux arts, dans une métaphore qui vise plus particulièrement l'art versifié de Verlaine. La mise en scène du poète dans ses textes passe bien par la présence objective de la musique. On n'a pas quitté le grand dogme horatien du ut pictura poesis, suivi en force par les Romantiques et réaffirmé par la doctrine parnassienne, où il faut figurer verbalement pour briller par la forme. Que l'on se penche, notamment, sur le « Prologue » des Poèmes saturniens, poèmes de jeunesse, et l'on se rend compte d'une extrême adéquation de cette figure suprême de poète avec la tradition : « Sur la kithar, sur la harpe et sur le luth, S'il honorait parfois le présent d'un salut Et daignait consentir à ce rôle de prêtre [...]. » 10 La figure allégorique du poète et de son rôle sacré dans la cité se dédouble naturellement d'une imagerie (on note la préciosité juvénile d'un Verlaine féru d'une virtuosité consensuelle, toute parnassienne, notamment dans le terme de « khitar ») qu'il n'est pas rare de retrouver dans le reste de la poésie verlainienne. Ainsi, le chevalier Atys « gratte [-t-il]/ Sa guitare, à Chloris l'ingrate » dans « En bateau » 11 pour reprendre l'esthétique d'un tableau de genre du XVIII e siècle, une scène libertine de Watteau par exemple, et reconstruire par les mots une scène très codifiée ; plus moderne, dans le « piano » de Marco 12 dont « les mains sur l'ivoire/Évoquaient souvent la profondeur noire/Des airs primitifs que nul n'a redits », ou celui « que baise une main frêle », dans la cinquième des « Ariettes oubliées 13 », ou, enfin, celui du « Poème saturnien » de ce recueil autocritique qu'est Parallèlement 14 , l'objet musical, comme topos littéraire, s'affirme pour constituer les armes du poète 10
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