Une lutte héroïque sur un pré : (extrait de : "Monsieur Potterat se marie") : [1ère partie]

B. Vallotton
1931
tant d'autres qui l'ont entouré, touché ou séduit un instant. Or donc, il y avait en ce temps-là, sur les pentes de notre Montmartre, rue Fontaine-Saint-Georges, à peu près à mi-hauteur entre la rue Ghaptal et la rue Mansard, du même côté que ces deux rues, une petite crémerie, et, dans cette crémerie, comme on pouvait s'y attendre, une crémière, mais qui était d'une beauté, d'une fière et charmante beauté qui dépassait toute attente. Son nom était Mme Chirade, et je ne pense pas qu'il soit
more » ... scret de l'écrire. Où termine-t-elle sa vie aujourd'hui Je gage qu'elle est belle encore, tant étaient fermes et purs les traits de son visage et les lignes de son corps. Tout le monde l'admirait, et même la respectait : entre le Moulin Rouge, le Rat mort et la Truie qui file, Mme Chirade était une des gloires du Montmartre honnête. Je l'avais vantée à Proust ; il voulut la voir. Je le conduisis rue Fontaine, et nous voici tous deux immobiles devant la boutique, plantés sur nos jambes et regardant vers l'intérieur. Mme Chirade allait, venait, occupée à servir les clients : ses avant-bras étaient pris-dans cette sorte de fourreau blanc que portent les crémières, et sa robe noire, ses cheveux noirs, donnaient plus d'éclat encore à son visage. Je n'avais pas exagéré : elle était magnifique. J'entends encore la voix de Proust murmurant à mon oreille : -Qu'elle est belle Et il ajouta, la littérature ne cessant guèrs de hanter nos esprits : '-Belle comme Salambo. Puis après un silence, sans doute consacré à une courte et fervente admiration, nous reprîmes la promenade, un peu distraits, un peu songeurs,
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