Camenae n°13-octobre 2012

Hélène Merlin-Kajman
unpublished
Il est peu douteux que le concept de bienséance(s) constitue, au XVII e siècle, le concept de poétique le plus directement impliqué, imbriqué dans la question du « public », quoi qu'on entende a priori par ce mot 1 , ne serait-ce que parce qu'il n'est pas uniquement un concept de poétique, mais qu'il intervient dans un grand nombre de jugements sociaux. Et c'est donc aussi lui qui semble rattacher le plus évidemment la poétique du XVII e siècle, siècle des bienséances, à ce qu'on lit souvent, à
more » ... l'Art poétique d'Horace, par opposition avec la Poétique d'Aristote, du moins si l'on s'en tient à ce que, dans son A History of literary criticism in the Italian Renaissance (1961), Bernard Weinberg écrit au début du chapitre qu'il a consacré aux premiers commentateurs de ce texte : Essentially, the Ars Poetica regards poems in the context of the society for which they are written. [...] The fact that, in Horace's theory, the internal characteristics of the poems are determined largely, if not exclusively, by the external demands of the audience brings his theory very close to specifically rhetorical approaches. In theories of this kind, the determining factor in the production of the work is not an internal principle of structural perfection [...] 2. Pourtant, le XVII e siècle cite plus volontiers Aristote qu'Horace. Deux poétiques aussi différentes que celle de La Mesnardière (1640) 3 , « grand-maître des bienséances » selon l'expression de René Bray 4 , et celle que Corneille développe dans ses Trois Discours sur le poème dramatique en 1660 5 , se donnent essentiellement pour des commentaires d'Aristote. Mais après un long éloge de ce dernier, La Mesnardière, qui brosse rapidement une histoire des poétiques 6 , loue Horace, « esprit merveilleusement délicat, et qui avait passé ses jours à la cour des empereurs parmi les gens de condition », d'avoir « laissé un art où la plupart des bienséances qui concernent le théâtre sont adroitement touchées 7 ». À la vérité, quand on lit La Mesnardière, on est frappé par le fait que « les bienséances qui concernent le théâtre » renvoient en fait à l'imitation fidèle des bienséances du monde, comme le révèle assez le précepte par lequel il précise en quoi consiste l'« art des bienséances », ou encore, plus loin, « la règle des bienséances, très nécessaire sur la scène » : Surtout, qu'il [le poète] n'ignore pas de quel air usent entre elles les personnes de condition dans leurs amours, dans leurs querelles, et dans leurs civilités 8. Pourtant, la critique a introduit, dans l'analyse des bienséances au XVII e siècle, une distinction devenue canonique entre la bienséance interne et la bienséance externe. Ainsi, 1 Cf. mon livre, Public et littérature en France au XVII e siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1994. 2 B. Weinberg, A History of literary criticism in the Italian Renaissance, Chicago, University of Chicago Press, 1961, vol. I, p. 71. 3 J. de La Mesnardière, La Poétique (1640), Genève, Slatkine reprints, 1972. 4 R. Bray, Formation de la doctrine classique en France, Paris, Nizet, 1945, p. 220. 5 P. Corneille, Les trois discours sur le poème dramatique, dans OEuvres complètes, t. III, éd. G. Couton, Paris, Gallimard [Bibliothèque de la Pléiade], 1987. 6 Celle de Castelvetro le met particulièrement en fureur, et l'on peut même penser qu'il n'a écrit la sienne que pour le critiquer. 7 J. de La Mesnardière, La Poétique, p. FF. 8 Ibidem, p. 239.
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