Cet essai se présente comme un exercice d'auto-réflexivité. Sincérité et transparence sont les deux exigences que je m'impose : elles me guideront, dans la lucidité j'espère, tout au long de ce bref retour sur ma pratique d'écriture. Je dois reconnaître d'emblée le colossal impact que mes travaux de recherche dans le champ de l'anthropologie médicale ont eu sur ma façon d'exercer mon métier d'anthropologue, de me relier aux autres et sur ma manière de traduire en mots le monde des autres. Mes

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... cherches d'anthropologie médicale ont en effet transformé, au fil des trois dernières décennies, ma vision même de la réalité humaine, aiguisant mon sens de l'écoute de la parole des autres, surtout des personnes souffrantes, et me confrontant à la dramatique de l'existence humaine. Elles m'ont aussi rendu sensible aux questions d'insécurité, d'injustice, de marginalité et de violence, cette dernière exprimant généralement, nous le savons, une souffrance cachée. Les récits des utilisateurs de drogues, des patients atteints du VIH, des membres de gangs de rue, des jeunes autochtones ayant survécu à une tentative de suicide et plus largement des personnes exclues de la société auprès de qui j'ai travaillé m'ont rendu particulièrement sensible aux questions de souffrance, de finitude, d'étrangeté, d'altérité et de différence qui se sont imposées à moi avec toujours plus d'évidence. Ces expériences de souffrance sont toutes reliées à la face d'ombre de la vie humaine, à cet espace d'où l'on revient difficilement et que l'on a peine, au terme du voyage, à transformer en récits. Au retour de mes voyages dans le monde de la maladie et de la mort, je reconnais avoir souvent eu de la peine à mettre en mots la détresse rencontrée, de m'être le plus souvent confié aux paroles mêmes des personnes qui m'ont dit leur mal et d'avoir eu de plus en plus tendance, au fil des années, à ancrer mes propres textes, au plus près possible,