Apprentissages scolaires et non scolaires avec le num�rique
Andr� Tricot
2016
Administration & �ducation
A paraître, revue Administration & Education, numéro « Qu'est-ce qu'apprendre ? » APPRENTISSAGES SCOLAIRES ET NON-SCOLAIRES AVEC LE NUMERIQUE André TRICOT Le numérique a bouleversé nos vies en l'espace d'une quarantaine d'années. Il a modifié notre travail, nos loisirs, la façon donc nous communiquons, dont nous lisons, etc. Pour autant, quand on entre dans une salle de classe, on voit relativement peu d'outils numériques. Les enfants utilisent plus fréquemment un ordinateur à la maison qu'à
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... cole. L'objectif de cet article est de comprendre ce décalage en centrant le propos sur les apprentissages : pourquoi les élèves apprennent-ils si peu avec le numérique à l'école ? Qu'est-ce que les enfants apprennent au cours de leurs usages quotidiens, nonscolaires, du numérique ? Pour répondre à ces questions, sept différences entre les apprentissages scolaires et non-scolaires liés au numérique sont étudiées : (1) la valeur adaptative de l'apprentissage, (2) la différence entre buts et moyens d'apprentissage, (3) l'importance de l'attention, (4) les processus et (5) les situations d'apprentissage, (6) le rôle de la motivation et enfin (7) les limites de la généralisation. Dans le cadre de ce numéro sur le thème « Qu'est-ce qu'apprendre ? », je considérerai que les apprentissages scolaires obéissent à des contraintes spécifiques, qui les rendent très différents des apprentissages adaptatifs (après les travaux en psychologie de l'éducation « évolutionniste » de David Geary ou John Sweller). Les humains apprennent différemment selon que les connaissances apprises sont primaires, c'est-à-dire présentes chez Homo Sapiens depuis les débuts de cette espèce (comme la reconnaissance des visages, la parole) ou au contraire secondaires, c'est-à-dire apparues récemment chez Homo Sapiens (comme les mathématiques ou la langue écrite). Je considèrerai aussi que les usages quotidiens du numérique permettent des apprentissages adaptatifs, mais en aucun cas de connaissances primaires. Dans le tableau ci-dessous, je présente le plan de l'article : je vais étudier sept différences entre les apprentissages scolaires et non-scolaires liés au numérique, en insistant sur la différence entre les apprentissages non-scolaires quand ceux-ci concernent des connaissances secondaires (dont fait partie le numérique) ou des connaissances primaires (dont ne fait pas partie le numérique). Comprendre ces différences me semble représenter un enjeu crucial si l'on veut sortir des prises de position catastrophistes qui annoncent la destruction de l'école par le numérique ou, au contraire, à cause de l'absence du numérique. ère différence : la valeur adaptative des apprentissages Les êtres humains, comme les autres animaux, ont une capacité d'apprentissage qui correspond à leur capacité à s'adapter à leur environnement et aux changements de cet environnement. Plusieurs grandes théories de l'apprentissage, comme celle de Piaget, sont des théories de l'adaptation. Les humains sont ainsi capables d'apprendre en s'adaptant à leur environnement physique, vivant, social, culturel, linguistique, familial, affectif, etc. Ces apprentissages se réalisent aussi bien dans les sociétés sans école que dans les sociétés avec école. La grande limite de ces apprentissages adaptatifs réside dans le fait qu'ils ne sont qu'adaptatifs. Il est difficile pour un individu d'apprendre de cette manière autre chose que ce qui fait partie de son environnement quotidien. Certaines sociétés humaines, au cours de leur histoire, créent des écoles pour pallier les limites des apprentissages adaptatifs. Ainsi, les enfants de ces sociétés, en allant à l'école, pourront apprendre des connaissances qui ne correspondent pas à leur quotidien, que leurs A paraître, revue Administration & Education, numéro « Qu'est-ce qu'apprendre ? » parents ne maitrisent pas. Dans certaines sociétés en effet, les adultes ont besoin d'autres connaissances que celles issues de leur quotidien d'enfants ou d'adolescents, parce qu'ils vivront dans un endroit différent, parce ce qu'ils exerceront un métier différent de celui de leurs parents, et parce que la société elle-même sera différente. Les enfants ainsi formés créeront à leur tour des connaissances utiles à la génération suivante, parce qu'ils seront ingénieurs, écrivains, artistes, chercheurs, etc. Les sociétés fondées sur l'ouverture culturelle et l'innovation technologique fonctionnent donc de façon inflationniste vis à vis de la connaissance scolaire : elles sont fondées sur l'école et rendent l'école de plus en plus nécessaire, pénalisant de plus en plus ceux qui ne vont pas à l'école ou ceux qui en sortent tôt.
doi:10.3917/admed.152.0033
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