Entre décence et obscénité : ce qui se dit de la guerre dans Le temps retrouvé

Elisheva Rosen
2004 Mots: Les langages du politique  
Guerres et paix. Débats, combats, polémiques Entre décence et obscénité : ce qui se dit de la guerre dans Le temps retrouvé Proust's appraisal of war in Time Regained : a mixture of decency and obscenity Entre decencia y obscenidad : lo que se dice de la guerra en Le temps retrouvé de Proust Elisheva Rosen Édition électronique Référence électronique Elisheva Rosen, « Entre décence et obscénité : ce qui se dit de la guerre dans Le temps retrouvé », Mots. Les langages du politique [En ligne], 76
more » ... 2004, mis en ligne le 21 avril 2008, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://mots.revues.org/2273 ; DOI : 10.4000/mots.2273 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. © ENS Éditions Elisheva ROSEN 1 Entre décence et obscénité : ce qui se dit de la guerre dans Le temps retrouvé La Recherche est intimement marquée du sceau de la Grande Guerre. L'oeuvre était pratiquement terminée (du moins pour tout ce qui concerne sa conception) lorsque les évènements en ont interrompu la publication. Proust n'a cessé dès lors de remanier inlassablement son manuscrit, au risque de le vouer à cet inachèvement (relatif) qui caractérise désormais pour nous son texte, et dont les pages consacrées à la guerre portent, un peu plus que d'autres, l'empreinte 2 . Tout se passe comme si, sous la pression de l'actualité, Proust avait souhaité en quelque sorte mettre son oeuvre, son esthétique et sa vision, à l'épreuve du réel. Revirement d'un écrivain qui jusque-là n'aurait accepté d'accueillir dans son texte les échos du monde que sous une forme assourdie ? Pas vraiment, puisque dans une telle éventualité, c'est une autre oeuvre que Proust aurait dû entreprendre, plutôt que de remanier son texte. En prenant le parti de suralimenter la Recherche et notamment d'y inscrire la guerre, il semble bien plutôt que ce soit la pertinence (historique) de son oeuvre qu'il ait choisi de mettre en relief, en accusant certains de ses traits, qui trop feutrés au vu du changement des circonstances, eussent pu, après-guerre, laisser croire à une indifférence d'esthète à l'évènement. Mais dans cette hypothèse, les pages consacrées à la guerre dans Le temps retrouvé n'en apparaissent que plus singulières. Nées de la conjoncture, elles s'y inscrivent si résolument en porte-à-faux, qu'elles ne laissent pas d'étonner. Étrange manière que d'accuser la pertinence d'une oeuvre en écrivant ostensiblement, dans et à partir de l'actualité, à rebours de l'actualité. C'est à n'en pas douter un comble, l'un des plus fabuleux sans doute, que Proust ait pu envisager, lui Mots. Guerres et paix. Débats, combats, polémiques, n°76, novembre 2004 75 Elisheva Rosen 76 3. R. Barthes, 1983, « Une idée de recherche », dans l'ouvrage collectif Recherche de Proust, Seuil (Points), p. 34-39. Pour d'autres exploitations du « comble » dans la Recherche, voir mon étude « Mondanités proustiennes : le tournant de Sodome et Gomorrhe » Marcel Proust 4, 2004, textes réunis par B. Brun et J. Hassine, Paris et Caen, Lettres modernes Minard, p. 235-248.
doi:10.4000/mots.2273 fatcat:c4c5c6xrx5ecxcrfk2k3442doi