Cartographie de la nouvelle québécoise contemporaine

Gaëtan Brulotte
2001 LittéRéalité  
e genre de la nouvelle s'estconsiderablement au Quebec au cours du demier l.:JII quart de siecle 1 Public/prive Les parametres public/prive sont les premiers qui sautent aux yeux dans la nouveIle quebecoise contemporaine. Apres d'autres dont Richard Sennett, Nancy Duncan affirme dans Bodyspace, ouvrage coIlectif qu'elle a dirige en 1996, que cette distinction est desormais motivee par le genre et a pour but implicite de reguler la sexualite (128). Pour eIle le prive est traditionnellement (et
more » ... tamment) associe au domestique, au naturel, au corporel, ala famille, ala propriete, au foyer, ala vie personnelle, aI'intimite, ala passion sexuelle, aux soins, au port d'attache, au travail non remunere, a la reproduction et a I'immanence. Le public, lui, est le domaine du desincarne, de I'abstrait, du culturel, de la rationalite, du discours critique, de la citoyennete, de la cite, du politique, de la societe civile, de la justice, du marche, du travail remunere, de la production, de I'action, du militarisme, de I'heroIsme, de la transcendance. Ces espaces sont determines selon le genre sexuel et sont rigoureusement heterogenes a ses yeux: le prive est feminin et le public, masculin, les hommes ayant toujours pu se deplacer de I'espace prive a l'espace public avec plus de fluidite, de legitimite et de securite que les femmes. Voyons donc comment la nouvelle quebecoise actueIle traite cette distinction re~ue. Les nouvellistes menagent al'envi pour les deux sexes des espaces minimaux ou echanger et interagir. Les auteurs, feminins et masculins, nous y montrent abondance de heros et d'heroInes qui vivent I'evasion dans des espaces publics tels que bars, boites ou cafes. La Marie de Turcotte, par exemple, aime sortir seule pour assister a un spectacle de jazz, prendre un verre, s'enivrer de musique ou danser seule ("Ligne de tir"). Le lieu public sert de tremplin ala recherche d'un reconfort, alajouissance de moments d'intensite, mais aussi a la quete de nouveIles formes d'intimite entre les sexes (voyez "L'ecoute active", "La virtuelle" ou "Soiree barattee" de Girard, par exemple), meme si ces rencontres ne debouchent souvent que sur la chastete ou I'exercice d'une sexualite primaire et expeditive ou le bonheur sensuel n'est guere au rendez-vous. Dans la nouveIle contemporaine, I'espace public n'est cependant pas qu'un domaine d'evasion et de rencontres etourdies pour run ou l'autre sexe, ce qui est devenu tout compte fait banal. Plus profondement ces lieux apparaissent comme des lieux de transcendance feminine et d'alienation masculine. Pour Turcotte le metro surtout est le lieu revelateur de soi a travers la prise de conscience du tragique des autres et de I'absurdite de la vie. Son heroIne rapporte de son bain de foule des visions bouleversantes qui lui plantent un couteau dans le cceur, puisqu'eIle y decouvre une vitrine de la misere humaine et cette misere atteint les deux genres. EIle voit notamment un garc;on aliene qui frappe dans la vitre du metro sans raison avant de se rasseoir calmement sur son banc. "le I'ai vu faire, dit-elle dans "Le paradis de tous les possibles", et je suis sortie du wagon avec une partie de ce geste et de ces yeux bleus bien tapie en moL La vie me permet parfois d'oublier. Pas cette fois." (83) Elle observe encore une vieille dame immobilisee devant un escalier roulant, incapable de se decider a I'emprunter: le lendemain, chaviree par cette scene, Marie aura du mal ason tour amettre LittiRialiti (. 60 LitteRealite .. 64
doi:10.25071/0843-4182.29589 fatcat:5fqazmwilncnvcvtns36eijctq