Que pouvons-nous reconstituer du Syntagma contre les hérésies de Justin? : Un exemple

Enrico Norelli
2007
Cet article s 'insère dans une recherche en cours sur l'ouvrage perdu de Justin Martyr contre Marcion et toutes les hérésies. Des remarques sur les oeuvres conservées de Justin (Apologies, Dialogue avec Tryphony et des comparaisons avec d'autres auteurs qui ont écrit contre les hérésies peu après lui, en premier lieu Irénée de Lyon et Tertullien, permettent d'identifier des sections de texte qui semblent bien remonter au Syntagma de Justin. En particulier, le présent article dégage une ligne
more » ... umentative qui, en réfutant les objections marcionites contre la prescience du Créateur, développait le thème du libre arbitre des humains et des anges, ainsi que celui de la chute des anges rebelles, leur activité dans l'histoire du monde et leur châtiment final. Raisons et limites du présent exercice Dans sa Première Apologie 26, Justin explique qu'après l'ascension de Jésus, les démons, dans leur effort constant de détourner les humains de Dieu, ont poussé des hommes à se faire passer pour des dieux : il mentionne Simon le Samaritain, Ménandre et Marcion, qui est encore vivant à l'époque où Justin écrit. C'est là sa thèse sur l'origine des hérésies ; il conclut: «du reste, nous avons composé un Traité contre toutes les hérésies (oûvrayucc Kara itaauJv tûv YEyevijuevtov aipéaECov) ; si vous voulez le lire, nous vous le ferons tenir»1. 1 / Apol 26,8, trad, (ici et partout dans la présente étude) C. Munier, Justin Martyr. Apologie pour les chrétiens. Introduction, traduction et commentaire, Paris, Cerf, 2006. Toutes mes citations du texte grec de l'Apologie proviennent de C. Munier, Justin. Apologie pour les chrétiens. Introduction, texte critique, traduction et notes, Paris, Cerf, 2006. Le même savant avait déjà donné une édition avec une brève introduction, une traduction (assez différente de celle de 2006) et quelques notes: Saint Justin. Apologie pour les chrétiens. Edition et traduction, Fribourg Suisse, Éditions Universitaires, 1995. J'ai constamment comparé A. Wartelle, Saint Justin. Apologies. Introduction, texte critique, traduction, commentaire et index, Paris, Études augustiniennes, 1987. Pour des raisons exclusivement pratiques, je continue à parler de Première apologie, en laissant de côté la question de savoir si ce qu'on appelle Seconde apologie n'est qu'un appendice de la «première». 168 ENRICO NORELLI Au ch. 56, il reprend ce thème, en nommant Simon et Ménandre, mais sans mentionner son propre traité. C'est sûrement de ce Syntagma, qui ne nous est pas parvenu, que proviennent les éléments qu'il livre dans ces deux chapitres. Irénée de Lyon, Contre les hérésies 4,6,2, cite un passage en l'attribuant à ô ÎouaTÎvoç èv tw rrtpòc MapKtcova auviàyuccTi (le grec nous est conservé par Eusèbe, Hist. eccl. 4,18,9) ; Justin y affirme qu'il n'aurait même pas cru au Seigneur en personne si celui-ci avait annoncé un autre Dieu que le Créateur. En 5,26,2, Irénée reproduit, sans préciser de quel ouvrage il le tire, un autre fragment de Justin, selon lequel le diable aurait commencé à blasphémer ouvertement Dieu après avoir appris sa propre condamnation par les paroles du Christ. Je considère comme pratiquement sûr que la manière dont le diable blasphème Dieu ouvertement, ce dont il est question dans ce passage, consiste en la production des hérésies : il s'agit donc du même complexe d'idées présent dans / Apol 26 et 56, ce qui rend extrêmement probable que ce fragment vienne du Syntagma contre les hérésies mentionné par Justin en 1 Apol 56,8. En Histoire ecclésiastique 4,11,8, Eusèbe informe que Justin a composé un Kcrrà MapKtcovoç öuvypauua et qu'il y affinne que Marcion était encore en vie au moment où il le composait. Comme cette dernière information apparaît en / Apol 26,5, qu'Eusèbe cite immédiatement après, en y ajoutant une citation de la phrase de 26,8 sur le Syntagma contre toutes les hérésies, il est vraisemblable qu'en mentionnant l'oeuvre contre Marcion, Eusèbe se réfère à ce Syntagma. Les avis des savants sont partagés, mais je ne vois pas de raisons de distinguer les deux ouvrages ; il devait s'agir d'un seul et même traité dans lequel, comme je compte le montrer dans une étude que je prépare, Marcion devait occuper une place prépondérante.
doi:10.5169/seals-381742 fatcat:mmjiuo3jlnayvlup5zheaq6ehi