CARREFOURS RHIZOMATIQUES DE L'ÉCRITURE DANS LE THÉÂTRE DE WAJDI MOUAWAD LE SANG DES PROMESSES ET SEULS
Mai M.L. Hussein
2014
At the crossroad of themes and cultures, playwright Wajdi Mouawad's writing combines an array of artistic genres ranging from the ancient myth to most contemporary techniques of performance. Among the writing of this playwright, dramaturge, stage director and actor, we have chosen to study four plays grouped under the title Le Sang des Promesses, that includes Littoral, Incendies, Forêts and Ciels in addition to the play Seuls that constitutes a "crossroad" in which intersects different forms
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... writing and staging. The purpose of this study is to explore questions of identity and identification, trauma, witnessing, violence, and alterity in addition to techniques of polyphony, modes of expression, various mediums as they come together in the work of Mouawad at the intersection of the textual and the performative. In these play texts studied, Mouawad questions space, time, narrative and the body while highlighting the complex intersection of the lived, the mediated, the vocal, the gestural and the embodied in performance. Methodologically, the work uses a deleuzian and guattarian approach in particular concepts of "rhizome" with its principles (connection and heterogenity, multiplicity, asignifying rupture, cartography and decalcomania), in addition to the concepts of line of flight, deterritorialization and body without organs, as they allow us to create bridges between various disciplines relative to contemporary performance. iii Résumé Carrefour dřidées, de tendances et de cultures, lřécriture scénique de Wajdi Mouawad se trouve aussi à la croisée des genres artistiques, du mythe grec et de lřextrême contemporanéité des performances. Parmi la création artistique de cet auteur, dramaturge, metteur en scène et acteur, nous avons choisi dřétudier son quatuor : Le Sang des Promesses, qui rassemble Littoral, Incendies, Forêts et Ciels en sus de Seuls qui nous paraît comme un carrefour où convergent toutes les formes dřécriture et de mise en scène. Cette étude se donne alors pour tâche, dřune part, dřexplorer les questions de lřidentité, de la découverte de soi, du trauma, du témoignage, de la violence, et de lřaltérité. Dřautre part, notre but est aussi de creuser les techniques de polyphonie de signes, des moyens dřexpression et des différents médiums qui sřentrecroisent dans lřoeuvre mouawadienne, entre texte et performance. Dans les pièces choisies à lřétude, Mouawad remet en question lřespace, le temps, le récit et le corps tout en soulignant la complexité du vécu, du médiatisé, de la voix, du gestuel et de lřincarné, lors de la performance. Sur le plan méthodologique, dans cette étude, nous optons pour une approche deleuzienne et guattarienne, particulièrement le concept de "rhizome" avec ses principes (connexion des hétérogènes, multiplicité, rupture asignifiante, cartographie et décalcomanie), en sus des concepts de lignes de fuite, de déterritorialisation et de corps sans organes. Cette démarche nous permet de créer des ponts entre diverses disciplines dans leur convergence scénique. iv Dédicace À ma petite famille qui a guidé mes pas pour de longues années... mon mari, mes fils. À ma grande famille, à qui je dois tout ce que suis aujourdřhui, ma mère, mon père, ma soeur et mon frère À vous tous, je suis éternellement reconnaissante... v Remerciements Ma profonde reconnaissance et mes remerciements vont à mes co-superviseurs, Professeur Anna Gural-Migdal et Professeur Donia Mounsef pour leur direction vigilante, leur soutien chaleureux et leurs encouragements permanents. Leur générosité, leur rigueur intellectuelle et leur patience infinie mřont permis de mener à terme ce projet. Je remercie aussi chaleureusement le Professeur Sathya Rao pour ses relectures attentives, ses conseils toujours judicieux et éclairés, sa présence et son écoute. Cette thèse a bénéficié de tous les conseils attentifs que tous les membres de mon comité mřont patiemment donnés durant de longues années. Quřils veuillent bien trouver dans ces quelques lignes lřexpression de toute ma gratitude. Je voudrais également exprimer ma reconnaissance envers tous mes professeurs au département du MLCS qui ont initié mes pas et mřont préparée avec un bagage intellectuel dont jřai pu profiter pour que ce travail puisse enfin voir le jour. Je tiens aussi à remercier tous les amis au département du MLCS pour leur soutien continu et leur encouragement. Merci enfin à toutes celles et tous ceux qui mřont apporté leur soutien, quelque forme quřil ait pu prendre. vi 2 Je me sens Grec par ma passion pour Hector, Achille, Cadmos et Antigone, Juif par mon admiration pour Jésus et Kafka. Je suis bien sûr Chrétien, surtout par Giotto et Shakespeare. Je suis Musulman par ma langue maternelle. Wajdi Mouawad, Architecture d'un marcheur Enfant au Liban, adolescent en France et adulte au Québec, Wajdi Mouawad (né en 1968) est donc, de fait, dřabord un exilé. Au seuil de lřâge adulte, il découvre le théâtre. Dès lors, Mouawad a eu un parcours dřétoile filante entre le Québec et la France ; il remporte de nombreux prix et rencontre un succès qui va grandissant surtout lorsquřil est lřartiste associé du 63e Festival dřAvignon (2009), devenant ainsi le premier artiste honoré dřorigine non européenne. Il a aussi occupé le poste de directeur artistique du Théâtre français du Centre National des Arts du Canada à Ottawa de 2007 à 2012. Mouawad sřimpose comme lřun des personnages les plus actifs et les plus "engagés" dans le domaine de lřécriture théâtrale francophone quřil considère comme un moyen de transformer le monde. "Nous sommes en guerre", "Nous sommes en manque" et "Le Kitsh nous mange" : tels sont les slogans des trois saisons du Centre National des Arts, inaugurées par Mouawad à travers lesquels il dévoile sa vision du théâtre. Le désir de Mouawad, dont témoigne son théâtre, est de "déranger, inquiéter, remettre en question" (Le Droit du 13 avril 2010). Carrefour dřidées, de tendances et de cultures arabe, classique, québécoise et française, lřécriture mouawadienne a véritablement été amorcée par lřhistoire du théâtre européen, plus particulièrement français. Trois traditions théâtrales semblent converger dans le théâtre de Mouawad : un théâtre dřinspiration classique relevant de la tragédie grecque ; un théâtre dřidées ou politique dřinfluence brechtienne ; et un théâtre du langage, héritier de la tradition poétique. Présentant les oeuvres de Mouawad, Marie-Hélène Falcon, directrice du Festival TranAmériques, parle dřun ton qui est celui des "tragédies-fleuves" au traitement "résolument contemporain" 1 . Carrefour de lřancien et du nouveau, Mouawad est influencé par les grands tragédiens comme Sophocle et Eschyle (car il avoue avoir quelques difficultés avec Euripide). Dřailleurs, il ne nie point que ce soit la lecture de l'Iliade et de l'Odyssée qui lui a permis de faire cette plongée vers la source des origines 2 . 1 Cf.http://www.ledevoir.com/culture/theatre/282380/tragedies-fleuves-au-fta-et-au-carrefour. Web 2septembre 2010. 2 Dans lřune de ses entrevues, Mouawad dit : "[l]a lecture de l'Iliade et de l'Odyssée mřa permis cette plongée dans ce que vous appelez les origines. Ensuite ce furent les grands tragiques, Sophocle et Eschyle surtout, car polyphonie de signes en interaction qui animent son univers et déceler les moyens dřexpression les plus adaptés à sa démarche. Par polyphonie de signes, nous entendons lřintersection entre différents médiums, écritures et éléments artistiques sur scène (son, voix, image, peinture, couleurs, corps, etc.). Pour ce faire, nous avons opté pour une analyse textuelle afin de déceler le carrefour rhizomatique identitaire dans Littoral, mémoriel dans Incendies et spatio-temporel dans Forêts. Par ailleurs, notre analyse performative a pour but de déceler les traits intermédiatiques du livre-rhizome à la jonction du virtuel et de lřimagé dans Ciels et de montrer que les plateaux de Seuls se situent entre le texte, le corps et la scène. La rencontre avec le corpus de Mouawad est survenue par un questionnement sur lřinfluence de lřart dans sa dimension expérientielle de décodage des traces, une approche de lřécriture dans son potentiel de construction dřespaces, de temps et de mémoire. Dřautant plus que les préoccupations des pièces choisies du corpus ont trouvé leur écho au plus profond de nousmêmes, surtout dans cette période du Printemps Arabe, nourrie par le sang, la perte et la douleur. Nous nous sommes trouvés amenés vers lřanalyse de la perte de repères, suite aux violences injustifiées. Une première lecture des pièces du Sang des promesses permettra de déceler les points communs entre elles en dépit des différences apparentes. Les deux premières pièces (Littoral et Incendies) peuvent se lire comme un va-et-vient entre le Québec et le Liban, un voyage spatio-temporel à la recherche des origines. Or, ni les personnages ni les lieux de lřaction ne sont communs, mais plutôt masqués par un traitement qui leur enlève les détails particuliers tout en les universalisant. La troisième pièce (Forêts) invite toujours à reconstituer les parties dřun puzzle identitaire mystérieux qui sřétale sur cinq générations, et parcourt presque un siècle, mettant en commun des êtres qui sřignorent complètement, dans lřespace clos et pervers dřune Forêt intrépide et chargée de sens. Si Mouawad choisit dřinscrire sa quête au cours de cette "trilogie" dans la spirale infernale et apocalyptique de la violence et des guerres, cřest parce que celles-ci sont lourdement chargées dřhistoires terrifiantes. Quant à la dernière pièce (Ciels), qualifiée, par son auteur de contrepoint indispensable aux trois premières pièces, elle clôt tout ce qui précède par un cri qui met sur le même plan la beauté de la vie et lřhorreur de la mort. Enfin, le solo (Seuls) apparaît le point de convergence de toutes les idées de la tétralogie, car Mouawad nřy raconte plus le monde, mais son monde intime et son propre refus. Seul sur le plateau, lřauteur-acteur-metteur en scène franco-libanais-québécois revisite 8 les mêmes thèmes : lřidentité, la mémoire, les racines, etc. en vue de trouver des points dřancrages dans son oeuvre et remédier, par lřécriture, à la perte et à la douleur. Au gré de cet itinéraire, le titre même de chacune de ces oeuvres met en place une dynamique, le renvoi à dřautres lieux, lřaccomplissement dřune démarche, les méandres dřune mémoire ou les aléas dřun cheminement. Les cinq pièces auxquelles est consacrée cette étude ont en commun dřêtre non sédentaires dans le sens où leurs parcours sont marqués par le déplacement et le mouvement. Pour ces pièces dřici et dřailleurs, le présent est un espace de confluences qui invite à lřailleurs, avec, telles des sources ou des points cardinaux, quelques souvenirs. Lřespace-temps évoqué est donc pluriel ; la frontière entre vie et mort, réalité et fiction, passé, présent et avenir est en ce sens problématique dans cet univers où le mouvement se révèle comme errance et où le rapport à lřespace est inhérent à la question de lřidentité. Dès la première lecture de ces pièces, nous comprenons que cřest par la voie de lřécriture quřon apprend à "lire" et, plus encore, à "voir". Entrer dans lřoeuvre mouawadienne cřest donc rentrer dans la vie. Notre étude, même du point de vue performatif, repose sur le texte que nous considérons comme la constante du théâtre et son côté incontournable. Chaque texte, tout en étant autonome, appelle un autre texte, toute scène appelle une autre scène. Sans que nous soyons texto-centriste (Pavis), le texte représente, pour nous, un invariant servant tous les projets connexes qui sřy rattachent. Comme nous lions le fond et la forme des textes étudiés, nous sommes venus à croire que nous ne pouvons présenter une vue dřensemble, en faisant fi du contenant : le livre. Cřest lřévidence même quřil nous fallait présenter le contenu
doi:10.7939/r3h98zn2q
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