Le mégalithisme antique au Proche-Orient : idées reçues et données nouvelles
Jean-Claude Bessac
2010
Syria. Archéologie, art et histoire
Référence électronique Jean-Claude Bessac, « Le mégalithisme antique au Proche-Orient : idées reçues et données nouvelles », Syria [En ligne], 87 | 2010, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 20 avril 2018. URL : http:// journals.openedition.org/syria/676 ; DOI : 10.4000/syria.676 © Presses IFPO Syria 87 (2010), p. 173 à 190 Résumé -Plusieurs hypothèses sont proposées pour expliquer le mégalithisme antique en blocs appareillés au Proche-Orient. La disposition d'une nombreuse
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... servile réunie à la suite de victoires militaires et les visées ostentatoires des constructeurs sont souvent mises en avant. Mais ce mode de construction tient d'abord aux conditions géologiques et topographiques locales. L'usage de puissants engins de bardage et de levage est indispensable. Il nécessite donc l'intervention d'ingénieurs et de spécialistes plutôt qu'une foule de manoeuvres. Lorsque ces conditions sont réunies, le coût économique du mégalithisme s'avère inférieur à celui des constructions appareillées en blocs ordinaires et sa résistance aux séismes est supérieure. Quant aux motivations ostentatoires, elles restent à prouver. Abstract 1 -Some hypotheses are proposed to explain the ancient megalithism in matched-up blocks in the Near East. The presence of a great slave workforce gathered following military victories, and the ostentatious aims of the builders are often advanced. But this mode of construction results first from the local geographic and topographic conditions. The use of powerful handling and lifting machines is indispensable. Rather than a mass of workers, the intervention of engineers and specialists is necessary. Then, when those conditions are combined, the economic cost of the megalithism turns out to be lower than that of matched-up constructions in common blocks and its ability to withstand earthquakes is higher. Regarding the ostentatious motivations, they remain to be demonstrated. اﻟﻨﻮع ﻫﺬا ﻟﺸﺮح اﻟﺴﺎﺋﺪة ﻓﺎﻟﻔﻜﺮة 1. Je remercie vivement R. Prévalet (Ifpo-Damas) pour sa traduction du résumé en anglais et J. Aliquot (Ifpo-Damas) pour sa relecture et ses conseils pour la rédaction du présent article. Syria 87 (2010) J.-C. BESSAC PROBLÉMATIQUE ET DÉFINITION DU MÉGALITHISME APPAREILLÉ Depuis l'apparition des machines à extraire, tailler et déplacer les grandes pierres, dans le courant du XX e s., la perte de l'héritage des techniques traditionnelles s'est considérablement accélérée et il nous est difficile, maintenant, d'imaginer le fonctionnement des chantiers sans l'usage de ce matériel récent. Si la question se pose pour les monuments ordinaires, elle est particulièrement accentuée pour les ouvrages mégalithiques antiques dont Baalbek au Liban constitue le meilleur exemple. Même si on écarte du débat les théories les plus fantaisistes, les professionnels de la pierre qui ont gardé quelques souvenirs des méthodes traditionnelles restent très dubitatifs face à certaines solutions techniques et économiques qui leur sont parfois proposées dans ce domaine par des chercheurs. L'objectif visé ici est de proposer une vue générale plus réaliste de ces chantiers antiques, même si on ne peut prétendre connaître tous les détails des moyens humains et techniques déployés alors. La problématique générale du mégalithisme appareillé dans la région a été déjà abordée antérieurement par trois chercheurs : E. Will a présenté, en 1966, un corpus de ces monuments, en 1977, J.-P. Adam a traité les aspects techniques de leur bardage et Fr. Larché a publié en 2005 l'étude d'un exemple hellénistique. Leur apport est primordial et les lecteurs pourront s'y reporter avec grand intérêt. Les présentes lignes n'aborderont donc que des aspects complémentaires à ces recherches en proposant un point de vue de professionnel du bâtiment, pour nuancer et parfois remettre en cause des idées reçues. Mais il faut d'abord préciser le sens donné ici aux mots « mégalithe » et « mégalithisme ». La définition du mégalithisme est très variable, selon les chercheurs, et elle peut inclure aussi bien des ouvrages constitués de blocs d'une tonne que de monolithes de plusieurs centaines de tonnes. C'est dans leur contexte de tradition préhistorique, en particulier pour les tombeaux, que leur définition pose le plus de problèmes 2 . Par convention, sera donc considéré ici comme mégalithe tout monolithe dépassant un volume de 2 m 3 , soit un poids 3 d'environ 5 t 4 pour une roche d'une densité apparente 5 approximative de 2,5 t/m 3 6 . Selon cette définition, il existe au Proche-Orient antique deux catégories d'ouvrages mégalithiques : les constructions appareillées en mégalithes de provenance locale et les grands monolithes, plus ou moins isolés, façonnés dans des roches ornementales qui ont été parfois importées d'assez loin. La première catégorie est la plus commune dans la région ( fig. 1) , alors que la seconde caractérise plutôt l'Égypte, même si, selon la définition proposée ci-dessus, on peut considérer que certaines colonnes monolithes de granit importées d'Égypte au Proche-Orient, notamment à Palmyre, présentent un caractère mégalithique puisque leur poids dépasse largement les 5 t 7 . Mais leur problématique générale de transport et de mise en oeuvre reste très spécifique aux colonnes monolithes antiques que l'on trouve un peu partout dans le monde gréco-romain et pas seulement au Proche-Orient. Leur forme très allongée, par rapport à leur faible section, facilite leur transport sur de longues distances à l'aide de solides fardiers 8 . Par ailleurs, lors du dressage en oeuvre des grandes colonnes, elles restent constamment en appui partiel sur le sol. Il n'est donc pas indispensable de soulever la totalité de leur charge. Quant 2. Cf. STEIMER-HERBET 2004, p. 12-14. 3. D'un point de vue strictement scientifique le mot « masse » devrait être employé ici. Mais, dans le domaine de la construction en pierre, l'usage du terme plus commun « poids » écarte les nombreuses possibilités de confusions homonymiques. 4. Ce poids a été choisi car il correspond, néanmoins, à la charge maximale que peut déplacer au sol un homme seul avec des rouleaux et un levier. 5. Rapport de la masse (ou du poids) à son volume apparent, vides compris, cf. NOËL 1968, p. 129. 6. On estime que la densité apparente des pierres de la région s'échelonne entre 1,8 et 2,8 t/m 3 , selon que l'on prend en compte les grès dunaires tendres ou certains basaltes très compacts. Mais si l'on considère essentiellement les calcaires durs les plus communs, le chiffre moyen arrondi à 2,5 t/m 3 est le plus réaliste. 7. Par ex., les grandes colonnes de granit rose d'Assouan employées par les Romains à Palmyre pèsent env. une dizaine de tonnes. 8. Cf. ORLANDOS 1968, t. II, p. 28, fig. 13 .
doi:10.4000/syria.676
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