Traduire un linguiste
Alberto Manco
2008
Traduire
Les premiers essais de traduction de Gustave Guillaume en Italie fournissent l'occasion d'une réflexion sur les difficultés que les textes de ce linguiste posent au traducteur italien, mais aussi sur des questions de caractère général qui concernent la traduction. Né à Paris, enseignant de russe, primé très jeune pour ses remarquables compétences en mathématiques, Guillaume fut découvert par hasard par Meillet alors que, pour vivre, il travaillait dans une banque de la capitale. Meillet
more »
... à suivre les cours de vieux slave à l'École pratique des hautes études. Le premier résultat de cette rencontre fut la rédaction et la publication, en 1919, du livre La question de l'article et sa solution dans la langue française, dédié à Louis Havet. En 1929 Guillaume publia Temps et Verbe, premier véritable noyau d'une théorie linguistique qui, sur la base d'une formation déjà solide, lui permettait de tenter d'établir le lien entre synchronie et diachronie, en créant ce qui est peut-être resté l'essai le plus mémorable sur la question, même si à ce jour il souffre encore d'un manque de reconnaissance auprès des linguistes en général, et plus encore, des linguistes italiens. Le point central de la réflexion de Guillaume porte sur la réalité « mentale » du langage et sur les temps opératifs, sans doute très brefs mais indubitablement nécessaires à la production du langage lui-même. Il jugeait donc inévitable qu'un linguiste applique la méthode comparative au langage considéré en synchronie. Par exemple, dans son livre de 1919, il envisageait l'article comme un vrai système de la langue. L'idée du langage compris comme un système grammatical existant en synchronie a orienté son travail tout au long de son existence. Les textes de Guillaume abondent de termes apparemment incompréhensibles, et cela peut pousser le traducteur vers l'erreur de les expli-quer au lecteur. Si l'on entend parfois dire que pour traduire un texte poétique il faut être poète, de la même façon, pour traduire un linguiste il faut être linguiste. Dans la vaste production de Guillaume, seuls deux livres ont été traduits en italien. La traduction du premier, Principes de linguistique théorique (1) est due à R. Silvi, la seconde, publiée par mes soins, est celle de Temps et Verbe (2) . La tentative de R. Silvi a le mérite non négligeable d'avoir introduit le nom de Guillaume en Italie. Dans sa « Note sur la traduction » des Principes de linguistique théorique, Silvi évoque les innombrables difficultés que ce texte présentel'une d'entre elles étant liée au très grand nombre de néologismes -qui mettent à dure épreuve le traducteur qui veut s'y essayer (3) . On proposera ici une liste, très limitée et partielle, de propos « difficiles » ou « nécessitant une explication » de Guillaume. On essaiera ensuite d'en examiner quelques-uns. On s'apercevra qu'il s'agit de termes techniques, spécialisés et clairs, s'ils sont lus à la lumière de l'oeuvre complète de Guillaume, et qu'ils ne peuvent pas être simplifiés sans compromettre la rigueur du texte original. On prendra acte, ainsi, que pour traduire Guillaume il ne faut pas simplement être linguiste, il faut aussi connaître l'ensemble de son oeuvre. Parmi les termes « difficiles » qui poussent le traducteur à fournir une simplification, citons : -surrection, visée, perspective, minimé, maximé, compossible, incompossible. 74 Alberto Manco (1) Gustave Guillaume, Principi di linguistica teorica, tr. de Roberto Silvi, Naples, Liguori 2000. (2) Gustave Guillaume, Tempo e Verbo, tr. et édition de A. Manco, Napoli, L'Orientale 2006. (3) « Mi sono trovato a far fronte a un testo che alle abituali difficoltà di uno stile accademico, somma la complessità di concetti espressi con numerosi neologismi, quasi sempre necessari data l'assoluta novità delle problematiche affrontate » Principi cit., p. XXII.
doi:10.4000/traduire.879
fatcat:zmh72zqcpzhbji6vdv3w7qag2i