ENTRE DYSTOPIE ET UTOPIE : POURQUOI ET COMMENT CONSTRUIRE DES COMMUNAUTÉS RÉSIDENTIELLES, AUJOURD'HUI, AUX ÉTATS-UNIS ?

Jacques Chevalier
unpublished
D e longue date, les discours concernant le devenir de la vie collective dans les villes états-uniennes ont pris deux tournures principales. La première insiste sur les maux que les villes génèrent, provoquant la dégradation des conditions d'existence et donc leur inexorable déclin en raison des limites apportées par les régulations collectives (Beauregard, 1993). Le second considère la ville comme un champ ouvert de perspectives permettant de renouveler de manière positive les conditions du
more » ... n être individuel et collectif. Ces deux orientations interagissent, se nourrissent mutuellement. Les discours utopiques constatent les insuffisances de l'existant et proposent des perspectives de transformation; les discours dystopiques insistent sur le caractère déstructurant de l'existant, montrent comment l'absence de prise de conscience et de volonté transformatrice conduit à aggraver la déstructuration. En Amérique du Nord, depuis une trentaine d'années, discours dystopiques et utopiques donnent lieu à d'incontestables prolongements matériels et sociaux. Si les cheminements sont différents, l'objectif est bien le même. Il consiste à créer des « communautés résidentielles » censées échapper aux processus désagrégeant les fondements de la vie collective et proposant de nouveaux repères permettant de bâtir un monde meilleur. Désormais, le plus banal des lotissements est nommé « communauté » faisant perdre tout poids et sens au terme de neighbourhood. Désormais théorisé, le new urbanism fédère des initiatives variées toutes susceptibles de créer de « vraies communautés » et peut être désormais identifié dans des réalisations devenues emblématiques. Les gated communities, développées par de nombreux promoteurs immobiliers et rapidement adoptées durant les deux dernières décennies, existent par un enfermement réel ou (bien souvent) supposé et confèrent ainsi toujours des limites spatiales concrètes aux ménages qui les occupent. Dans ce « brouhaha communautaire », on ne peut ignorer les retirement communities (dont les célèbres réalisations de la société Del Web sous l'appellation de Sun City représentent une illustration limitée) ou les active adults communities (euphémisme désignant des ensembles résidentiels destinés aux jeunes retraités) dans lesquelles l'âge constitue l'élément majeur du choix de son voisinage. Malgré leur caractère peu visible, il serait malvenu de méconnaître les communautés qualifiées d'intentionelles », promouvant des formes d'épanouissement personnel et collectif qui ne passent pas nécessairement par la construction de forteresses, ni par la référence explicite au new urbanism, ni par la simple réalisation de lotissements. Quelles que soient les raisons des uns et des autres, les constructions théoriques ou concrètes auxquels ils font référence, il s'agit toujours d'envisager le devenir de la ville comme meilleur qu'il n'est, de faire à la fois espace et société dans des formats très variables, de retrouver les sources du « vivre ensemble » en un lieu partagé, au travers de formes de sociabilité rendant compatibles l'individuel et le collectif. En même temps, dans une société qui se construit de longue date sur un mode fragmenté, selon des dimensions ségrégatives manifestes, dans laquelle la question sociale est faite d'inégalités et de séparations, il convient de s'interroger sur l'envahissement de l'expression communauté. S'agit-il de consacrer la fragmentation ou au contraire de la transcender? Cet article propose de développer les différents sens que prend aujourd'hui le terme communauté en s'appuyant sur les multiples registres qui le construisent et de mettre l'accent sur une catégorie particulière de communautés: celles qui se qualifient « d'intentionnelles ». Il y a dans l'utilisation de cette dénomination une volonté évidente de se démarquer du « brouhaha communautaire » comme si l'appellation communauté, devenue générique et surtout polysémique, avait perdu de sa force. LE « BROUHAHA COMMUNAUTAIRE » Analysant les communautés dans la ville états-unienne au travers des rapports entre citoyenneté, planification et gouvernement, G. Billard souligne (1999, p. 47) combien « le concept de communauté génère une multitude de définitions », l'absence de frontières conceptuelles donnant une grande variété aux études communautaires venant des différents champs des sciences sociales. 33 N°17, mars 2002
fatcat:etzkigw5fzejnoqnpyo5lpapoa