Groupe d'études « La philosophie au sens large » Penser la fraternité

Bruno Mattéi
unpublished
Ce qui retient en premier lieu l'attention dans l'idée de fraternité, c'est qu'elle renvoie à un objet de pensée sans contenu bien déterminé ou assignable. Le mot qui s'offre dans l'état et l'éclat d'une vivace métaphore ne compromet-il pas son accès à un statut d'objet philosophique pertinent ? On peut se le demander, s'agissant de ce qu'on pourrait nommer alors « une intuition sans concept » ou un « signifiant flottant », pour parler comme les psychanalystes, avec lequel la République et la
more » ... mocratie entretiennent des rapports ambivalents d'attirance et de méfiance. La fraternité n'est-elle qu'un hiéroglyphe toujours en attente de son ou ses Champollion, loin en tout cas des objets ordinaires de la pensée ? On peut aussi la présenter comme un astre à éclipses qui parfois fait retour dans le champ social et politique dans des circonstances particulières (sur lesquelles on reviendra). La fraternité revient nous hanter de sa présence absence, mais comme chacun de ses retours, du moins jusqu'à présent, n'a pas donné lieu à un travail de « penser » approfondi et de pratiques d'appropriation pour l'inscrire durablement dans nos moeurs, l'astre disparaît à nouveau et préserve son énigme. Pour s'intéresser à la fraternité, il faut assurément avoir le goût des énigmes philosophiques ou des affaires ténébreuses. Ou bien encore une curiosité, au sens premier de curiosus : celui qui se soucie de quelque chose, au lieu de pratiquer à son égard négligence ou « incurie » (incuriosité). Une bonne manière d'aborder ce thème est de voir comment il fonctionne, au quotidien, dans le cadre de l'éducation et de l'école. C'est aussi par cette fenêtre que je l'ai abordé dans le cadre de ma réflexion de formateur au sein d'un I.U.F.M. (Institut Universitaire de Formation des Maîtres). On constate alors un grand vide concernant la fraternité, qui, depuis vingt ans, ne cesse de se creuser. L'école dite de la République est devenue à peu près complètement étrangère à cette valeur cardinale pour la formation du lien social. On admet généralement à titre de principe que l'école ne doit laisser personne de côté, elle promet l'intégration ou inclusion de tous dans la cité. C'est d'ailleurs l'un des thèmes centraux du Rapport de la commission Thélot, qui a fait suite au « débat national sur l'avenir de l'école » (décembre 2003-janvier 2004). Ce texte affirme la nécessité d'aller « vers la réussite de tous les élèves » (c'est même le titre du rapport). La publication, qui fait état du débat national, intitulée : « Le miroir de l'école : les français et leur école ». classe en trois blocs les principes et les valeurs qui ont retenu l'attention des débattant. Concernant le dernier bloc, dernier dans l'ordre hiérarchique des choix, il est écrit : « ...quelques principes sont rarement mentionnés : la solidarité, la fraternité... ». De ce constat de carence de la fraternité on pourrait s'étonner, voire même s'inquiéter, ou du moins se poser quelques questions. Mais le Rapport Thélot en prend acte, sans l'ombre d'une discussion, il est à cet égard à l'unisson de la société et des politiques de l'éducation qui posent comme un dogme, et en réalité seul principe actif en usage dans l'école : celui de la compétition individualiste de chacun contre tous. Avec ce correctif, que pour atténuer les effets plutôt calamiteux de cette course gagnant/perdant, le problème est que les inégalités tenues pour « inévitables » soient au moins « justes » ! On constate un effacement de toute idée de la fraternité, à fortiori de toute pratique, à l'école, comme dans l'univers politique, où elle est parfois invoquée, il est vrai, mais dans un usage qui reste purement rhétorique. Dans un
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