Dialectique négative et/ou dialectique matérielle : retour sur le débat Adorno/Kracauer

Vincent Chanson
2015 Cahiers philosophiques  
Distribution électronique Cairn.info pour Réseau Canopé. © Réseau Canopé. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite
more » ... accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Réseau Canopé | Téléchargé le 22/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) © Réseau Canopé | Téléchargé le 22/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) 67 CAHIERS PHILOsOPHIques n° 143 / 4 e trimestre 2015 dossier Siegfried Kracauer DIALECTIQUE négATIvE ET/OU DIALECTIQUE mATéRIELLE : RETOUR SUR LE DébAT ADORnO/KRACAUER Vincent Chanson Les deux dernières rencontres entre Kracauer et Adorno dans les années 1960 sont l'occasion d'une ultime mise au point dont l'enjeu est précisément de reconstituer la portée philosophique d'un compagnonnage et d'une fidélité jamais démentis depuis la fin des années 1910. L'occasion surtout de prendre toute la mesure de la portée de deux gestes conceptuels, à la fois profondément liés et profondément différents, revendiquant tous deux leur statut matérialiste : celui, kracauerien, portant le nom de dialectique matérielle, et consistant en une micrologie attentive aux singularités, et celui, adornien, de la dialectique négative, assumant dans le même mouvement « primat de l'objet » et « procès dialectique maintenu ». N ous nous proposons ici de revenir sur le compagnonnage philosophique d'Adorno et Kracauer avec pour point de départ la controverse, telle qu'elle nous est rapportée dans un article de Martin Jay 1 à propos de deux mémorandums appartenant au Nachlaß 2 de l'auteur de L'Ornement de la masse, qui se produisit à l'occasion de © Réseau Canopé | Téléchargé le 22/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) © Réseau Canopé | Téléchargé le 22/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) DOSSIER Siegfried Kracauer 68 CAHIERS PHILOsOPHIques n° 143 / 4 e trimestre 2015 leurs deux dernières rencontres dans les années 1960 (l'une en Suisse en 1960, une autre en 1964). Le débat concerna leurs oeuvres de maturité respectives -Dialectique négative, en préparation pour Adorno, L'Histoire, des avant-dernières choses, pour ce qui concerne Kracauer -et par lesquelles s'affirma un différend, qui nous semble fondamental, tournant autour du statut de la catégorie de dialectique telle que redéfinie par Adorno, qui ne pouvait convenir à la perspective d'un Kracauer, toute entière tournée vers la saisie d'une concrétude matérielle de l'objet, exclusive de tout dispositif relevant de près ou de loin du modèle hégélien. Entre la défense adornienne du schème critico-dialectique, bien que profondément révisé car censé faire toute sa place à un « non-identique » perturbant la clôture du système et sa logique « subsumante », et la mise en avant par Kracauer d'une forme de micrologie matérialiste orientée vers les « manifestations discrètes de surface 3 », c'est bien en effet de deux orientations discordantes, possédant certes une matrice partagée mais se séparant sur un point crucial, qu'il s'agit pour nous de rendre compte. Mais surtout, par l'évocation de cette controverse, c'est la possibilité de reconstruire rétrospectivement le sens pleinement philosophique du dialogue Adorno/Kracauer qui nous sera donnée ; dialogue qui, au même titre que celui avec Benjamin par exemple, éclaire un certain nombre d'options théoriques fondamentales pour la compréhension du projet adornien, auquel sera plus spécifiquement consacrée cette étude. Il sera donc moins question ici de l'oeuvre de Kracauer, considérée en ellemême (ce qui nous aurait amené à de tout autres développements), mais plutôt de ce qu'elle pourrait nous dire, par effet de miroir, sur l'orientation générale de ce qui a pris sa forme définitive sous le nom de Dialectique négative. Pour reprendre les termes de notre titre, confronter le projet adornien d'une « dialectique négative » à ce que Kracauer nomme « dialectique matérielle » nous permettra de revenir sur un motif qui travaille toute la pensée d'Adorno, celui du statut matérialiste de la catégorie de dialectique. Pour expliciter les coordonnées de la discussion : nous avons d'un côté Kracauer, partisan de ce qu'il appelle « dialectique matérielle », c'est-àdire, dans une perspective que nous pouvons rapprocher de celle de Walter Benjamin, d'un modèle que l'on pourrait plutôt qualifier, avec une certaine prudence, « d'herméneutique » ; autrement dit, d'une saisie interprétative et micrologique de l'objet comme singularité matérielle, comme monadeimage dialectique (Adorno, dans un texte de 1964 4 consacré à Kracauer, parle de « phénoménologie des petites images 5 »). De l'autre, nous trouvons Adorno, défenseur d'un modèle dialectique beaucoup plus hégélien, auquel Kracauer reprochera justement son caractère trop abstrait et formaliste -« une dialectique immanente à l'objet » refusant « tout point d'ancrage ontologique ». Pour Adorno, le mouvement dialectique relève en effet d'un procès dont le seul horizon de déploiement consiste en une « conscience
doi:10.3917/caph.143.0067 fatcat:xy4ewj5vqrgvnixrpavdh4u7da