Créolisation universelle ou singulière ?

Christine Chivallon
2013 L'Homme (En ligne)  
Référence électronique Christine Chivallon, « Créolisation universelle ou singulière ? », L'Homme [En ligne], 207-208 | 2013, mis en ligne le 05 novembre 2015, consulté le 02 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/ lhomme/24686 ; DOI : 10.4000/lhomme.24686 © École des hautes études en sciences sociales ÉTUDES & ESSAIS L'HOMME 207-208 / 2013, pp. 37 à 74 Créolisation universelle ou singulière ? Perspectives depuis le Nouveau Monde Christine Chivallon culturelles restées sous la
more » ... e du contexte historique de leur formation. À contre-courant de la conception qui voudrait arracher les constructions sociales à leurs conditions de possibilités pour ne les envisager que sous l'angle de leur mutabilité intrinsèque, il est question de camper la créolisation comme « mode d'être » dépendant d'une expérience historique, elle-même assujettie à un pouvoir de catégorisation extrêmement prégnant et coercitif, propre aux systèmes racialisés des sociétés à fondement esclavagiste. Ce « mode d'être » n'est pas simple disposition au changement comme la créolisation est habituellement comprise, mais invention de manières de composer avec le pouvoir. C'est du moins l'argument sur lequel ce texte souhaite aboutir pour montrer comment la pluralité décelable dans les univers créoles n'est pas le signe inconditionnel d'une transformation permanente, mais le moyen de rendre effective une dispersion du pouvoir ou son cantonnement à des sphères précises. La progression proposée, qui se présente surtout comme une exploration théorique, épousera trois étapes qui nous conduiront au coeur de cette proposition. Elle reviendra d'abord, sans prétention à l'exhaustivité, sur la littérature existante pour montrer que la notion de créolisation dans le monde des Amériques, lorsqu'elle s'envisage à partir du couple « processus-production culturelle », est loin de renvoyer à un consensus, mais laisse au contraire entrevoir tous les possibles, depuis la labilité des appartenances jusqu'à l'existence d'identités « fermées », articulant ainsi « quatre régions majeures » de signification du terme. Le deuxième palier nous permettra de questionner la singularité au sein d'une conception où la créolisation s'est vue être déterminée, de manière implicite ou explicite, comme universelle. Ce sera l'occasion d'introduire un positionnement sur la définition attribuée à l'universel en s'attachant notamment aux notions de diffusion et d'invariance, et à la portée éthique contenue dans le recours à l'universalité. À partir de ces clarifications théoriques, nous serons alors à même de franchir la troisième étape conclusive, celle qui retiendra la perspective d'analyse où la créolisation n'est pas conçue comme un perpétuel processus de transformation, mais comme manière particulière de négocier avec les contraintes que font naître à la fois tout régime de codes impliqué dans la relation sociale et le contexte singulier de la matrice esclavagiste d'où émergent des formes culturelles redevables d'une connaissance intime et profonde des modalités d'exercer le pouvoir sur l'autre. Christine Chivallon Les quatre acceptions majeures de la créolisation à partir du couple "processus-production" Vers la définition des "régions" de signification de la créolisation De prime abord, la réponse à la question « qu'est-ce que la créolisation ? » peut paraître simple. Nous pourrions nous en remettre au consensus assez large autour d'une définition telle que celle proposée par Robert Baron et Ana Cara, d'autant qu'elle présente l'avantage de « ramasser » les deux angles d'attaque qui nous préoccupent : « La créolisation est une créativité culturelle en cours [in process]. Quand les cultures entrent en contact, des formes expressives et des réalisations émergent de cette rencontre [...]. Fluides dans leur adaptation à des circonstances changeantes et ouvertes à de multiples significations, les formes créoles sont des expressions de cultures en transition et en transformation. Traditionnellement associée avec les cultures du Nouveau Monde au sein des sociétés de la Caraïbe et de l'Amérique latine, la créolisation est maintenant de plus en plus envisagée comme un processus universel qui peut survenir partout où des cultures se rencontrent » (2003 : 4) 1 .
doi:10.4000/lhomme.24686 fatcat:bsxxqulrsbf4bmwwnvf5s5vk3e