Il n'y a pas d'indistinction sexuelle

Dany-Robert Dufour
2002 Essaim  
Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable
more » ... et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © ERES | Téléchargé le 18/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) © ERES | Téléchargé le 18/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83) Il n'y a pas d'indistinction sexuelle Dany-Robert Dufour Tous du même sexe ? Je ne crois pas produire un scoop en avançant qu'il existe aujourd'hui une opération -voire une OPA, c'est-à-dire une offre publique d'achat -foucaldo-deleuzienne sur la psychanalyse lacanienne. Certes, il faut bien que la psychanalyse, vingt ans après la mort de Lacan, se frotte aux autres grandes pensées contemporaines, ne serait-ce que pour se réénoncer dans la culture de l'époque, comme ce fut constamment le cas du temps de Lacan. Mais la question est de savoir sur quoi et jusqu'où. Or, sur un point au moins, il me semble que l'opération foucaldo-deleuzienne en cours doit être évaluée de façon à pouvoir repérer ce qu'elle pourrait remettre en cause des fondements mêmes de la psychanalyse. Je n'examinerai pas ici tous les aspects de cette opération, mais un seul, à mon sens, central. Je vise ici très précisément la conjoncture « foucaldo-deleuzienne » qui, de mi-dits en dénis, tend à faire admettre au sein même de la psychanalyse rien de moins que l'indistinction sexuelle. Par « foucaldo-deleuzien », je n'entends pas qu'un complot aurait été fomenté par Foucault et Deleuze dont nous verrions maintenant les effets posthumes, mais je vise plutôt une mouvance actuelle qui croit pouvoir s'autoriser de Foucault et de Deleuze à partir des prises de position du premier en faveur des mouvements gays (aujourd'hui reprises notamment par la tendance dite queer), et à partir de supputations qui ont suivi la publication des thèses anti-oedipiennes et de la problématique du « devenir » du second : par exemple, le « devenir femme » de l'homme ou le « devenir homme » de la femme. Soyons clair : ce n'est pas parce qu'il existe une OPA qu'elle doit réussir. Chacun sait que la psychanalyse en a vu bien d'autres. En l'occurrence, il est une condition au moins à la réussite, c'est-à-dire un « détail » à régler, ou encore un verrou à faire sauter. C'est de circonvenir le lacanisme en tentant sur lui une opération chirurgicale très compliquée car elle implique d'en finir avec un de ses apports majeurs : les formules dites de la sexuation 1 . Mais, enfin, certains s'y emploient et essaient de faire du Phallus une fonction qui ne se déclinerait plus en deux formules, mais en une fonction continue. On pourrait en somme passer sans hiatus de l'une à l'autre. L'enjeu pour cette conjoncture « foucaldo-deleuzienne » serait donc de tirer l'une des formules phares de Lacan, « il n'y a pas de rapport sexuel », dans le sens d'une affirmation de l'indistinction sexuelle 2 . Cette thèse intéresse beaucoup certains mouvements gays et lesbiens, de même que certains militants et intellectuels engagés dans les luttes postmodernes qui ne demandent rien de moins que l'inscription d'un nouveau droit fondamental : le droit au choix du sexe. Moi, nouveau sujet de la condition postmoderne, je pourrais donc aller jusqu'à décider de mon sexe. Je pourrais donc me présenter devant le juge, car, quelle que soit ma liberté, il faut toujours qu'un juge entérine ma nouvelle condition, et, usant de ce nouveau « droit de l'homme », si je puis dire, je lui déclarerais le sexe que je me suis présentement choisi, indépendamment de mon sexe biolo-gique... Est-ce bien lacanien ? Sommes-nous tous du même sexe et sommesnous donc, tous, qu'on le veuille ou non, homosexuels ? Je ne peux en tout cas que souligner l'immense chemin parcouru -mais en arrière -depuis le temps où « le premier des lacaniens » selon Roudinesco, c'est-à-dire Serge Leclaire, expliquait que « le plus difficile pour nous [c'est-à-dire pour les psychanalystes] rest[ait] de réaliser le passage d'une société homosexuelle à une société hétérosexuelle 3 ». Bref, c'est exactement là où Leclaire constatait, avec un certain effroi, en 1978 (à l'époque même de son travail sur « la social-incestocratie », existant selon lui jusque dans les sociétés psychanalytiques), qu'on n'était jamais vraiment sortis d'une société homosexuelle, que d'autres agissent aujourd'hui,
doi:10.3917/ess.010.0005 fatcat:pimv5v246bexrh2jhvrpihuvra