Réflexions de l'ignorant

Marie Laffranque
1969 Baroque  
Référence électronique Marie Laffranque, « Réflexions de l'ignorant », Baroque [En ligne], 4 | 1969, mis en ligne le 05 mai 2012, consulté le 04 octobre 2016. URL : http://baroque.revues.org/311 ; Il est des réunions où, avant toute autre précaution, on s'accorde à désigner l'« ignorant de service ». Il devrait y en avoir un dans tous les congrès. Même entre humanistes, la spécialisation est parfois telle que l'un ou l'autre, sans s'en apercevoir, sort du domaine compréhensible à tous : et soit
more » ... pudeur, soit crainte d'alourdir le débat, souvent chacun se tait, espérant l'autre mieux instruit. Cela est vrai a fortiori pour des dialogues démocratiquement ouverts aux non spécialistes, aux non professionnels, à l'amateur et au simple curieux, comme les Journées du Baroque à Montauban. Plus généralement, dans la période actuelle, où les réunions se multiplient, devenant peut-être un mal nécessaire à notre société cloisonnée, mais où le plus souvent on ne sait pas encore parler, écouter, dialoguer, s'entendre, où le modèle dominant sur lequel s'organisent informations et communications reste, grâce aux ordinateurs, le vieux modèle aristotélicien du tiers exclu (oui-non, blanc-noir), l'ignorance avouée s'impose. Sinon, nous verrons se développer les dialogues de sourds, le règne de la feinte ou superficielle compétence ; nous courrons trop souvent le risque du quiproquo, du malentendu, de l'illusion. À l'extrême, nous nous trouverons un jour ou l'autre dans la position gênante, d'un comique ambigu, qui est celle des héros du Rétable des merveilles, de Cervantès : sera coupable, impur, exclu, celui qui ne voit rien sur cette scène vide qu'un « montreur » habile, peuple uniquement de sa verve, Seuls les « vieux chrétiens », a-t-il dit, les non juifs, seront en mesure d'apercevoir le spectacle. Qui oserait mettre en doute, tout bonnement, sa réalité ? 2 Nous voici en plein baroque : l'époque, le sujet, le danger, sa mise en lumière ; enfin, l'apaisement relatif que je voudrais apporter ici. Il y a bien « un spectacle », il y a même un dialogue aux Journées de Montauban, pour celui qui jusqu'à présent les a suivies avec un intérêt soutenu. Il y a pour les non-initiés, dont je suis, participation possible, enrichissement probable. Cependant, pour que l'échange soit plus grand et plus complet, je proposerais l'institution d'un ou deux ignorants patentés, et aux autres, la liberté d'intervenir parfois en posant des questions qu'ils croient élémentaires.
doi:10.4000/baroque.311 fatcat:gfpadearbvhzjn4nl5pynv53rq