Du théâtre nulle part situé à la cathédrale de l'avenir : utopies de théâtre entre deux siècles

Anne Pellois
unpublished
Le passage du théâtre par l'utopie, qu'elle soit projection par le verbe ou le dessin chez les symbolistes français ou les esquisses d'Appia, ou réalisation, à travers l'exemple de l'Institut Jaques-Dalcroze à Hellerau, met en lumière la nécessité qu'a le théâtre, pour s'inventer, de dématérialiser l'ensemble de ses composantes. Le processus utopique suspend le lieu scénique, à la fois dans sa relation avec l'espace social pour que celle-ci puisse être repensée, et dans sa concrétude
more » ... ale, pour laisser la place à un espace le plus neutre possible, seul à même de réinventer le théâtre. La mise en contact du théâtre et de l'utopie questionne la place du lieu théâtral au sein de l'espace social, jusqu'à en proposer sa dissolution, par un processus de contagion rythmique. En 1909, apparaît dans les cartons de l'architecte Heinrich Tessenow 1 le projet de la construction, non pas d'un théâtre, mais d'une salle, au coeur de la Cité-Jardin de Hellerau, près de Dresde. Aux dires d'un certain Charles Edouard Jeanneret, alias Le Corbusier, cette salle de spectacle « marquera un point capital dans l'évolution artistique de l'époque » 2. Destinée à abriter le futur Institut Jaques-Dalcroze, la salle n'est « ni une école, ni un musée, ni une église, ni une salle de concert, ni un auditoire ! Et pourtant quelque chose de tout cela et aussi quelque chose de plus » 3. Elle cumule des fonctions pédagogiques, artistiques et civiques. Cette entreprise fait écho sur bien des points à la réflexion des symbolistes français des années 1890 sur la nécessité de rénover le théâtre dans le but d'en faire une véritable institution civique. J'entends par « civique » le fait de redonner au théâtre une fonction sociale qui dépasserait la simple fonction divertissante mais aussi sa dimension purement esthétique. L'Institut, tel qu'il a été pensé par les architectes et par les artistes qui y officient, apparaît de fait comme une forme de réalisation d'une utopie de théâtre restée à l'état de projection par 1 Heinrich Tessenow (1876-1950) est un architecte allemand, presque inconnu à l'époque de la conception d'Hellerau, et qui appartient à l'école dite du « fonctionnalisme » en architecture, qui privilégie l'adéquation entre la forme de l'édifice et sa fin, supprimant le recours à l'ornement pour préférer le bâtiment nu et brut. 2 Ch-E. Jeanneret, Etude sur le mouvement d'art décoratif en Allemagne,
fatcat:sk57opyfbfgf5hskgxudju32yi