L'allemand est mort, vive le latin ? Discours sur le latin, politique de la langue et hégémonie culturelle dans l'Allemagne contemporaine

Marie-Pierre Harder
unpublished
En 1998, Françoise Waquet concluait son enquête sur l'influence du latin comme « signe européen » par cette affirmation qui semblait sans appel : Le latin a disparu parce qu'il ne voulait plus rien dire pour le monde contemporain. Tout ce qu'il avait incarné (une certaine idée de l'homme, une forme de distinction, un système de pouvoir, une visée universelle et au-delà une conception de la société, de son ordre, de ses normes) n'avait plus cours et le modèle culturel hégémonique auquel il
more » ... tissait était désormais victorieusement concurrencé. 1 À ce constat désenchanté, une série de publications allemandes récentes semble opposer un démenti cinglant, en replaçant le latin au coeur de l'actualité 2. En effet, ce n'est pas seulement le nombre de ces publications qui constitue un élément frappant, mais également le fait qu'elles sont destinées, de manière plus ou moins explicite, à un large public et qu'elles ont, pour certaines d'entre elles, rencontré un véritable succès de librairie : ainsi le livre de Wilfried Stroh, Latein ist tot, es lebe Latein ! Kleine Geschichte einer großen Sprache (Le latin est mort, vive le latin ! Petite histoire d'une grande langue) 3 est-il un bestseller qui, dès l'année de sa parution (2007), a connu quatre rééditions. L'auteur, professeur émérite de latin à l'université de Munich, grand défenseur du latin parlé, est par ailleurs une figure assez médiatique, connu pour ses apparitions publiques en toge et ses discours déclamés, le front ceint de lauriers, dans la langue de Cicéron 4. Or, au-delà de l'anecdote, ce phénomène éditorial s'accompagne également d'un regain d'intérêt pour le latin non seulement au niveau scolaire (les statistiques révèlent une forte croissance du nombre d'élèves choisissant le latin comme langue étrangère 5) mais aussi au niveau des médias : alors que de nombreux journaux font paraître dans ces années 2005-2010 des articles aux titres révélateurs sur ce latin qui a « le vent en poupe » (« Latein im Aufwind »), ce « boom du latin » (« Latein-Boom ») ou encore cette « vogue du latin » (« Lateinwelle ») 6 , une chaîne allemande de télévision, 3sat, est même allée, en 2008, jusqu'à diffuser, à une heure de grande écoute, un magazine culturel entièrement en latin 7. Comment, dès lors, comprendre cette inflation soudaine de l'intérêt porté en Allemagne au latin ? Faut-il s'exclamer, avec Obélix, qu' « ils sont fous, ces Germains » ? Ou faut-il y voir
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