Raoul Pictet : véritable auteur de la liquéfaction de l'oxygène

Simon Benaroche
1985
Le lundi 24 décembre 1877, J.B. Dumas, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, annonce l'obtention de l'oxygène liquide à peu près simultanément, par M. Louis Cailletet et M. Raoul Pictet. Maintes fois deux ou plusieurs chercheurs de formations différentes et souvent d'orientations opposées énoncent la même vérité scientifique à la même époque. Afin d'établir la simultanéité de la découverte de manière rationnelle, il convient de remonter aux documents et de tenir compte des influences
more » ... subies. Rares sont les éléments de preuve qui dévoilent à coup sûr l'indépendance des découvertes, aussi la conviction résulte du concours de plusieurs indices et repose sur l'examen particulier de chaque cas. Une découverte et sa publication ne pouvant avoir lieu en même temps, il ne s'agit donc Pas d'un synchronisme exact mais d'une concordance bien qu'il existe des simultanéités Parfaites où toute contrefaçon est d'emblée éliminée vu l'indépendance des méthodes. La découverte de l'oxygène liquide est un exemple intéressant que nous soumettrons à une analyse minutieuse. Depuis les remarquables travaux de Faraday en 1845, la plupart des savants essayaient sans succès de liquéfier les six gaz dits permanents dont l'oxygène; la même recherche ainsi proposée aux regards inquisiteurs de plusieurs scientifiques devait atteindre sa maturité trente deux années plus tard. D'abord je présenterai les hommes et les méthodes qui ont permis d'obtenir le résultat tant attendu, puis dans un deuxième volet, j'étudierai la question de priorité. Louis Cailletet est né à Châtillon-sur-Seine en 1832 de famille aisée. Il fait ses études secondaires au Lycée Henri IV à Paris, puis est admis en qualité d'auditeur libre à l'Ecole Nationale des Mines. Durant ces deux années à Paris, il fréquente le laboratoire de Chimie de l'Ecole Normale Supérieure, dirigé par le grand chimiste H. Sainte-Claire Deville (1818-1881) qui découvrit les procédés industriels de fabrication de l'Aluminium en 1855 et avec lequel il se lie d'amitié. Ses études terminées, il rejoint l'entreprise familiale de métallurgie dans sa ville natale. En raison d'accidents provoqués par *1, chemin du Vieux-Pont, CH-1224 Chêne-Bougeries 226 RAOUL PICTET -VÉRITABLE AUTEUR DE LA LIQUÉFACTION DE L'OXYGÈNE les gaz dans les hauts fourneaux, il oriente ses travaux vers une vérification de la loi de Boyle-Mariotte. A l'aide d'une presse hydraulique des plus classiques, il exerce une grande pression sur les gaz et mesure alors leur volume. En octobre 1877, au cours d'une vérification de routine1 effectuée pour l'acéty-2 lène dont la synthèse faite par M. Berthelot en 1863 avait connu un grand retentissement, un incident se produit ; Cailletet ouvre alors la vanne de sécurité de son appareil ; la brusque détente du gaz occasionnée par cette manoeuvre provoque un considérable abaissement de température3 et la liquéfaction de l'acétylène. Ensuite, plusieurs tentatives en vue de liquéfier l'oxygène sont réalisées, mais Cailletet n'observe jamais rien de plus qu'un «brouillard intense» à propos duquel il ne recueille que de très minces informations4. Pour savoir si l'oxygène est à l'état liquide ou à l'état solide dans le brouillard observé, il suffirait d'une expérience d'optique plus facile à imaginer qu'à réaliser, à cause de la forme et de l'épaisseur du tube qui le contient. Cailletet est très peu sûr de ses résultats5. J'ai peut-être tort de dire liquéfier l'oxygène car à la température obtenue par l'évaporation de l'acide sulfureux, soit -29°et 300 atmosphères, je ne vois pas le liquide, mais un Brouillard tellement épais que je peux conclure à la présence d'une vapeur très voisine de son point de liquéfaction.
doi:10.5169/seals-740475 fatcat:t33bwubxpnfnxcb7cz33yr6cxa