L'heure est venue d'un (re)positionnement thérapeutique des maladies ultra-rares

Cécile Martinat, Marc Peschanski
2018 M S.Médecine Sciences  
Éditorial > Aux confins du spectre des prévalences des maladies rares s'étend une galaxie de maladies que l'on peut qualifier « d'ultra-rares », dans la presque totalité des cas d'origine génétique. Le seuil à partir duquel on considère une maladie comme « rare » est défini réglementairement parce qu'il ouvre à des incitations financières et à des facilités administratives (moins de 5 personnes sur 10 000 par exemple en Europe). Celui en dessous duquel on peut penser que ces incitations ne sont
more » ... pas suffisantes pour attirer des investissements privés significatifs -qui servira ici de critère pour définir une maladie ultra-rare -n'est en revanche qu'empirique. On peut toutefois s'accorder, pour borner notre sujet, sur le fait qu'une pathologie qui intéresse 100 patients ou moins en France (soit au plus 12 000 dans le monde) sortira presque inévitablement des conditions du marché de l'industrie pharmaceutique. Le nombre de ces maladies est lui-même difficile à préciser, en l'absence d'un recensement exhaustif ou parce que l'on ne sait pas les diagnostiquer. À partir des tables de distribution des prévalences telles que celles réalisées par Orphanet 1 , il est toutefois frappant de constater que ce seuil apparemment très bas va pourtant mettre dans la catégorie des maladies ultra-rares la très grande majorité (sans doute plus de 80 %) des maladies cataloguées réglementairement comme rares. La constellation des pathologies ultra-rares compte ainsi vraisemblablement plus de 5 000 membres. Du fait de leur grande rareté et de leur diversité, ces maladies se sont heurtées jusqu'à présent à des difficultés sinon spécifiques, du moins spécifiquement accrues. En amont, l'accès aux patients est compliqué, a fortiori la constitution de cohortes et leur étude. Cela réduit les chances de définir aussi bien l'histoire naturelle de la maladie que des biomarqueurs. En aval, les paradigmes pré-cliniques mis au point par l'industrie pharmaceutique pour identifier et développer des thérapies candidates paraissent bien trop onéreux, sans parler des essais cliniques... Aujourd'hui, pourtant, des avancées scientifiques et technologiques majeures ouvrent des perspectives bien plus optimistes pour s'attaquer de façon systématique aux pathologies d'origine génétique. Les ressources technologiques permettant d'identifier les altérations génomiques à l'origine des maladies ont acquis depuis une dizaine d'années des performances telles que les maladies les plus rares sont devenues accessibles. Le séquençage du génome et l'analyse de bases de données de plus en plus sophistiquées donnent à la recherche des mutations causales des moyens incomparables à des prix qui ne sont plus rédhibitoires. Dans le même temps, on a appris à dériver des lignées de cellules iPS (« induites à la pluripotence » par sur expression transitoire de gènes codant pour quelques 1 https://www.orpha.net/orphacom/cahiers/docs/FR/Prevalence_des_maladies_rares_par_ordre_ alphabetique.pdf facteurs de transcription) à partir de cellules de n'importe quel individu [1], ce qui donne accès à l'étude in vitro de lignées cellulaires provenant de patients porteurs de n'importe laquelle des pathologies monogéniques. Les deux propriétés cardinales de ces cellules -la capacité de proliférer sans limite et celle de donner naissance à n'importe quelle cellule différenciée -permettent ainsi de rechercher en laboratoire les phénotypes qui sont associés aux mutations. L'utilisation plus récente encore des techniques d'ingénierie génomique par CRISPR/Cas [2] ouvre, entre autres, la voie de contrôles isogéniques. Des cellules sauvages peuvent en effet être mutées spécifiquement pour reproduire les altérations génomiques, et des cellules porteuses des pathologies corrigées de leur mutation originelle. Les résultats obtenus par comparaison entre cellules issues de patients et cellules contrôles peuvent ainsi recevoir une validation technique pour l'essentiel affranchie de l'impact potentiel du fond génétique des individus. Ces comparaisons bénéficient, elles aussi, d'avancées technologiques tout à fait spectaculaires. Le séquençage à haut débit (par exemple, dans ses applications à l'analyse de l'expression génique ou des interactions entre acides nucléiques et protéines) est aujourd'hui à la portée de très nombreux laboratoires. Là encore, le déploiement de bases de données de plus en plus fournies et de mieux en mieux annotées favorise grandement la recherche mécanistique. Les approches complémentaires, telles que les analyses protéomiques, sont encore l'apanage de laboratoires spécialisés, mais elles apportent déjà une forte contribution à ces études. Au bout de cette chaîne d'innovations technologiques récentes qui ont bouleversé l'approche des maladies génétiques, on doit aussi souligner celles qui fondent les plateformes analytiques à haut contenu, permettant l'étude multi-paramétrique systématisée des phénotypes cellulaires et fonctionnels. Enfin, des progrès majeurs ont été réalisés dans l'élaboration et l'étude des modèles animaux. L'accès à ces ressources biologiques et technologiques pose aujourd'hui très différemment la question d'une recherche thérapeutique appliquée aux maladies ultra-rares. L'identification de leurs origines moléculaires peut, à elle seule, ouvrir la voie à des thérapies correctrices ou préventives. Le champ de la thérapie génique a ainsi été marqué par plusieurs succès dans des maladies ultra-rares, depuis le tout premier dans le déficit immunitaire lié à l'X 2 [3] jusqu'à celui enregistré récemment pour le syndrome 2 Dû à un défaut du gène IL2RG codant la chaîne gamma commune à différents récepteurs des lymphocytes T.
doi:10.1051/medsci/2018302 fatcat:hfisft5j3je3taxsrj3gydmxaq