Vers un Nouvel Atlas Linguistique de la France
Damien Hall
2012
SHS Web of Conferences
Résumé Cet article décrit un projet de dialectologie qui a pour but de produire une étude phonétiquephonologique des accents urbains dans le français du nord de la France. Le projet s'intitule en anglais « Towards A New Linguistic Atlas of France » (TANLAF), ce qui peut se traduire « Vers un Nouvel Atlas Linguistique de la France ». 1 Des projets semblables n'étant habituels ni en dialectologie ni en sociolinguistique françaises, nous commencerons par un compte-rendu des raisons du projet, et
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... rons par la suite une description de sa méthodologie. Nous terminerons par un appel aux suggestions de la part de la communauté des linguistes qui travaillent sur le français et la France. La linguistique du projet Pourquoi faire une telle étude ? Ce projet représente certes un départ de l'approche traditionnelle de la dialectologie et la sociolinguistique en France. Sauf exceptions, la sociolinguistique française est beaucoup plus interactionnelle que variationniste, se situant beaucoup plus au niveau macrosociolinguistique qu'au niveau micro : elle fait appel aux interactions entre une langue, ses locuteurs et la/les société(s) où elle est parlée, beaucoup plus qu'à la variation linguistique entre individus. Le présent projet, qu'on pourrait appeler de la dialectologie sociolinguistique, cible davantage la variation linguistique entre individus. Nous nous pencherons un moment sur nos raisons de penser qu'une étude variationniste de grande échelle complètera la littérature sociolinguistique française de façon utile. Ensuite, dans les sections 2.2 et seq., nous approfondirons l'explication du projet en examinant de près la description qui en est énoncée cidessus : « une étude phonétique -phonologique des accents urbains dans le français du nord de la France ». Nous pensons que cette étude enrichira la littérature sur la langue française parce que, d'une certaine façon, l'étude se trouve dans la droite ligne de la tradition dialectologique française. Depuis l'Atlas Linguistique de la France (Gilliéron et Edmont 1902-10), la France est connue à juste titre comme le berceau de la dialectologie moderne. La tradition de cet atlas monumental continue jusqu'à ce jour dans la série des Atlas Linguistiques de la France par régions. Cela va sans dire que ces atlas sont d'une valeur inestimable aux linguistes et ethnologues qui s'intéressent à la France ; leurs techniques ne sont pourtant pas les nôtres. Au cours des cent derniers ans s'est établie la légende (véritable ou non : Brun-Trigaud et al. 2005 : 19-20) du dialectologue Edmont qui parcourait les campagnes françaises à vélo, à la recherche de ses prononciations et de ses dialectes, qu'il notait soigneusement ; telle est aussi (plus ou moins) la technique des dialectologues plus récents qui font les recherches des atlas par régions. Nous continuons cette tradition -nous dresserons le plan de la variation phonétique et phonologique que nous trouverons dans les villes d'intérêt -mais nous le ferons avec l'aide des techniques modernes d'enregistrement et d'analyse phonétique, qui n'étaient pas disponibles -ou du moins n'étaient pas faciles -pour les dialectologues des années passées. Une étude à grande échelle de la phonologie de la France, menée par l'analyse d'enregistrements, nous révélera peut-être aussi des choses que nous n'aurions pas pu déceler sans l'aide de logiciels phonétiques. Il existe des différences tellement subtiles que l'oreille n'est pas consciente de les avoir perçues, tellement subtiles que nous ne sommes certainement pas en mesure de les décrire, même après les avoir entendues, à moins de les entendre plusieurs fois et de nous faire indiquer où se trouve la différence, pour que nous puissions nous concentrer là-dessus. La section 2.6, ci-dessous, donne quelques détails de l'histoire de ce type de recherche en dialectologie hors de France. « Une etude phonétique -phonologique ... » Tout comme la technique de l'Atlas Linguistique de la France, la technique de notre étude consiste aussi en un parcours des sites qui nous intéressent, mais à ces différences près : nous enregistrons nos entretiens (pour la plupart des voyelles) nous les analyserons phonétiquement par la suite, et constituerons à partir de ces analyses des comptes-rendus des systèmes phonologiques des locuteurs. Une part des analyses sera donc faite à l'oreille, comme les classifications des atlas faits jusque maintenant -il s'agira des voyelles dont nous ne connaissons pas encore assez bien les attributs phonétiques (les nasales, par exemple) ; mais les voyelles orales et quelques consonnes d'intérêt seront analysées par ordinateur. Par ces différences, notre projet part de la tradition dialectologique française, mais il se réunit, par contre, avec trois autres lignes de recherche linguistiques : la recherche phonologique sur l'organisation des espaces vocaliques, commencée notamment par Martinet (1955 Martinet ( , 1960 Martinet ( , 2008 la tradition de phonétique instrumentale de laboratoire en France (pour ne rien dire de la tradition instrumentale nord-américaine, dont fait partie le Canada) la tradition labovienne de sociolinguistique et dialectologie instrumentales. Le travail de Martinet (entre autres) a fait valoir l'importance de l'équilibre dans les systèmes phonologiques : on peut [...] supposer que [les éléments distinctifs d'une langue] tendront à être aussi différents les uns des autres que le permettent les organes qui contribuent à leur production [...] On dira qu'un système évoluera tant que ne sera pas établie l'équidistance entre les phonèmes qu'il comporte. Martinet 2008 : 202 (emphase dans le texte d'origine) Nous notons que l'idée d'équilibre dans un système (en l'occurrence vocalique, dans notre projet) n'exclut pas de différentes configurations de l'espace vocalique. Plus loin à la même page, Martinet poursuit son point par l'exemple d'un système à trois voyelles antérieures, /i e a/, avec une « case vide » à la position mi-ouverte : « le phonème /é/ ne tarderait pas à se placer à égale distance de /i/ et de /a/ ». 2 Un tel système, à trois voyelles antérieures, se trouve en espagnol (comme le note Martinet à la même page) et en français méridional (comme il a été noté par beaucoup de linguistes, dont Martinet aussi). Il s'oppose à un système à quatre voyelles antérieures (/i e ɛ a/) -équilibré lui aussi -tel qu'on trouve, par exemple, en français de référence. Les processus de variation phonétique peuvent pourtant aboutir autrement qu'en équilibre, notamment par la fusion de deux phonèmes. Si nous continuons à parler des phonèmes /e ɛ/ du français de référence, de nos jours, il y a des variétés autres que le français méridional qui ne font pas de différence phonémique entre eux. Lyche (2010 : 150-1) synthétise la situation : L'opposition /e/-/ɛ/ en syllabe accentuable ouverte semble menacée chez certains locuteurs même si les instituteurs âgés par exemple, la maintiennent [...]. De Congrès Mondial de Linguistique Française -CMLF 2012 SHS Web of Conferences Article en accès libre placé sous licence Creative Commons Attribution 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0) « ... des accents urbains ... » Les pratiquants de la dialectologie traditionnelle de la France diraient qu'une enquête sur les accents urbains du nord de la France apporterait peu : les enquêtes traditionnelles sur la variation linguistique en Congrès Mondial de Linguistique Française -CMLF 2012 SHS Web of Conferences Article en accès libre placé sous licence Creative Commons Attribution 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0) Walter (1982), fait de la même façon par Henriette Walter seule ; le programme PFC (Durand, Laks et Lyche 2009 ; http://www.projet-pfc.net), qui étudie depuis presque dix ans les prononciations régionales de toute la Francophonie, par le biais d'enregistrements.
doi:10.1051/shsconf/20120100164
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