Derrière le statut juridique, les besoins humains

Tarak Bach Baouab, Hernan Del Valle, Katharine Derderian, Aurélie Ponthieu
unpublished
Les dilemmes qui caractérisent l'assistance des personnes se déplaçant en «flux mixtes» font depuis longtemps l'objet de débats, que ce soit le besoin et la manière de définir des catégories de personnes en mouvement, comment accéder aux personnes les plus vulnérables, leur porter assistance et garantir leur protection, ou encore comment aider les personnes sans papiers. Suite au conflit libyen, les humanitaires se sont retrouvés confrontés à des politiques et des pratiques nationales qui se
more » ... duisaient par des carences en matière de protection et d'assistance pour les réfugiés et les demandeurs d'asile, de nombreux obstacles à la prestation de services même les plus essentiels et/ou la criminalisation, la détention et le risque de refoulement. Même face aux flux mixtes qui fuyaient la Libye, un certain nombre d'États et d'organisations ont adopté une «une intervention en situation de migration» à caractère généraliste, recourant à des catégories rigides, déterminées en fonction des facteurs ayant prétendument motivé la migration des personnes concernées. Cette approche risquait cependant de limiter les interventions en faveur de groupes particuliers, même si de nombreuses personnes présentaient des besoins semblables et avaient urgemment besoin d'assistance et de protection. Plutôt que d'être avant tout définies par les politiques migratoires des États, les interventions envers de telles populations en mouvement doivent être basées sur des politiques et des pratiques établies à l'égard des réfugiés et des demandeurs d'asile, portant entre autres sur les conditions d'accueil, la détermination du statut, l'assistance, l'accès aux services essentiels, l'identification des personnes vulnérables et l'adoption de mesures de protection. L'intervention «standard» lancée dans les États voisins face au nombre colossal de personnes fuyant le conflit libyen a eu des conséquences humanitaires de grande portée pour les personnes cherchant la sécurité comme moyen de survie. Alors que les conflits faisaient rage, parmi les personnes qui se trouvaient prisonnières des tirs croisés se trouvaient des réfugiés originaires de pays d'Afrique subsaharienne, des demandeurs d'asile en route vers l'Europe qui risquaient d'être arrêtés et maltraités dans les centres de détention libyen, des migrants à la recherche de meilleures opportunités économiques et bien d'autres groupes encore. Le conflit n'a fait que compliquer les mouvements de population, ainsi que la définition des catégories de personnes en mouvement. Fuyant vers l'Italie, Malte ou la Tunisie, les personnes ont été accueillies dans des conditions médiocres en Europe et ont reçu une assistance inadaptée dans les camps de transit tunisiens. En conséquence, certaines des personnes se retrouvant sans secours en Tunisie sont en fait retournées dans une Libye ravagée par les conflits pour y solliciter un statut plus favorable: la protection temporaire accordée dans le sud de l'Europe aux personnes arrivant directement de Libye. Plusieurs mouvements de population concurrents ont entraîné une certaine fluidité dans la catégorisation des personnes en mouvement, de leur statut et de leur accès subséquent à l'assistance et à la protection. Les Libyens en fuite se sont vu accorder une protection au titre de réfugiés, après avoir souvent risqué leur vie pour trouver un refuge sûr ; les migrants fuyant les tortures en centre de détention, les risques d'attaque en tant qu'étrangers ou le conflit lui-même étaient simplement catégorisés comme «ressortissants de pays tiers», et donc inéligibles pour le même niveau de protection, que ce soit dans les pays voisins ou dans le sud de l'Europe. Toutefois, d'autres éléments sont venus interférer avec les besoins humanitaires et de protection des réfugiés et des migrants pendant et après le conflit libyen. Comme les politiques migratoires des États membres de l'UE étaient devenues plus restrictives et cherchaient à contenir le flux de réfugiés et de migrants en Libye, des patients de Médecins Sans Frontières (MSF) ont signalé des pratiques de détention systématique, de refoulement et de mauvais traitement des personnes en mouvement. Même avant la guerre en Libye, ces populations se trouvaient déjà dans une situation fragile caractérisée par une migration difficile, des conditions de détention inhumaines en Libye et des violences liées au trafic illicite des personnes. Pendant le conflit, dans une situation complexe entraînant l'application simultanée du droits des réfugiés et du droit humanitaire international (sans mentionner le droit international des droits de l'homme), le statut des personnes déjà présentes dans des flux mixtes évoluait rapidement en fonction des progrès du conflit armé, de l'emplacement géographique des personnes ou de leur détention forcée. Selon le moment, les non ressortissants pouvaient être catégorisés comme civils, réfugiés, demandeurs d'asile, ressortissants de pays tiers ou simplement personnes en détresse sans possibilité de retourner là d'où elles venaient. Cette complexité de la catégorisation des populations «mixtes» en mouvement au cours du conflit s'est traduite par une intervention générale qui prêtait peu d'attention aux besoins médicaux, humanitaires et de protection individuels. Dans le camp de Lampedusa comme dans le camp de Shousha en Tunisie, peu d'efforts ont été faits pour répondre aux besoins humanitaires individuels des personnes. Les conditions de vie restaient de médiocre qualité, probablement pour éviter de créer un facteur d'attraction pour les personnes migrant hors de Libye. MSF a dénoncé l'impact de ces mauvaises conditions de vie et l'absence de services relatifs à la santé physique et mentale des populations fuyant la Libye. 1 Pour une organisation telle que MSF, l'un des plus grands défis à venir concerne la prestation de services de santé aux réfugiés et migrants en contexte urbain, dans les contextes ouverts ou les contextes de mouvement continu. Il est plus que jamais nécessaire de procéder à un profilage plus élaboré de la santé des migrants et réfugiés si nous souhaitons travailler efficacement dans de tels contextes en constante évolution, par exemple en définissant comment aborder la torture et les mauvais traitement dans les flux mixtes en tant que besoin sanitaire et besoin humanitaire. En l'absence de catégories précises pour les personnes en mouvement et leurs besoins immédiats, l'intervention humanitaire générale face à ces flux mixtes a été définie dès le début comme «une intervention en situation de migration», ce qui a eu un impact significatif sur les acteurs qui sont intervenus pour fournir l'aide et l'assistance. Par exemple, l'Organisation internationale pour la migration a rapatrié les ressortissants de pays tiers dans le cadre des mesures «de protection» visant à éviter une éventuelle crise humanitaire dans les pays voisins. Parallèlement, une ambiguïté plus générale régnait quant aux responsabilités et obligations juridiques relatives de l'UNHCR, des États d'origine et des diverses autorités libyennes envers les ressortissants étrangers coincés dans le pays. Catégorisation élusive ou besoin humanitaire ? La réalité sur le terrain s'est traduite par des interventions très différentes destinées aux mêmes populations dans des lieux différents, ces interventions se basant sur des suppositions A l'avenir, les humanitaires doivent s'attendre à des flux de nature plus mixte défiant toute catégorisation rigide et demandant une intervention humanitaire basée sur la communauté des besoins en matière d'assistance et de protection.
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